AUX ASSOCIES DE LA COMPAGNIE DE MARIE
1. Nolite timere pusillus grex quia complacuit patri vestro
dare vobis regnum.
Ne craignez point, petit troupeau, car Dieu votre Père a
pour agréable de vous donner le royaume. [Lc 12,32]
Ne craignez point, quoique naturellement vous ayez tout à
appréhender: vous n'êtes qu'un petit troupeau et si petit
qu'un enfant peut l'écrire, puer scribet eos. [Is 10,19] Et
voilà les nations, les mondains, les avares, les voluptueux,
les libertins assemblés à milliers pour vous combattre par
leurs railleries, leurs calomnies, leur mépris et leurs
violences, convenerunt in unum. [Ps 2,2]
2. Vous êtes petits, ils sont grands.
Vous êtes pauvres, ils sont riches.
Vous êtes sans crédit, ils sont appuyés de tous.
Vous êtes faibles, ils ont l'autorité en main.
Mais encore un coup, nolite timere, ne craignez point
volontairement, écoutez Jésus-Christ qui vous dit: Ego sum,
nolite timere, c'est moi, ne craignez point; c'est moi qui
vous ai choisis, ego elegi vos; [Jn 15,16] c'est moi qui suis
votre bon Pasteur: ego sum pastor bonus; je vous connais comme
mes brebis, ego cognosco, etc. Nolite mirari si odit vos
mundus, scitote, etc.: ne vous étonnez point si le monde vous
hait, sachez qu'il m'a haï le premier. Si vous étiez du monde,
le monde vous chérirait comme une chose qui lui
appartiendrait; mais, parce que vous n'êtes point du monde, il
faut que vous essuyiez sa haine, ses calomnies, ses injures,
ses mépris, ses outrages.
3. Ego protector tuus sum in manibus meis descripsi te. Je
suis votre protection et votre défense, petite Compagnie, vous
dit le Père éternel, je vous ai gravé[e] dans mon coeur et
écrit[e] en mes mains, pour vous chérir et vous défendre,
parce que avez mis votre confiance en moi et non dans les
hommes, en ma Providence et non dans l'argent.
Je vous délivrerai des pièges qu'on vous tend, des
calomnies qu'on vous impose, des terreurs de la nuit et des
ténèbres qui vous intimident, des assauts du démon du midi qui
veut vous séduire; je vous cacherai sous mes ailes; je vous
porterai sur mes épaules; je vous nourrirai à mes mamelles; je
vous armerai de ma vérité, et si puissamment que vous verrez
de vos yeux vos ennemis tomber à milliers à vos côtés: mille
mauvais pauvres à votre gauche, dix mille mauvais riches à
votre droite, sans que ma vengeance approche même de vous. -
Vous marcherez avec courage sur l'aspic et le basilic envieux
et calomniateur; vous foulerez à vos pieds le lion et le
dragon impie, emporté et orgueilleux; je vous exaucerai dans
vos prières; je vous accompagnerai en vos souffrances; je vous
délivrerai de tous vos maux; je vous glorifierai de toute ma
gloire que je vous montrerai dans mon royaume, à découvert,
après que vous aurai comblé[e] de jours et de bénédictions sur
la terre.
4. Ce sont là, chère et petite Compagnie de Marie, les
promesses admirables que Dieu vous a fait par la bouche du
Prophète, si vous mettez par Marie toute votre confiance en
lui.
Etant, comme vous êtes tous, abandonnés à sa Providence,
c'est à Dieu à vous soutenir et à vous multiplier et à dire:
crescite et multiplicamini et replete terram, ne craignez donc
point votre petit nombre. C'est à Dieu à vous défendre, ne
craignez donc point vos ennemis. C'est à Dieu à vous vêtir,
nourrir et entretenir, ne craignez donc point de manquer du
nécessaire, en ces mauvais temps, qui ne sont mauvais que
parce qu'on manque de confiance en Dieu. C'est à Dieu à vous
glorifier, glorificabo; ne craignez donc qu'on vous enlève
votre gloire. En un mot, ne craignez rien et dormez en sûreté
sur son sein paternel.
5. Mais c'est peu que de rien craindre; il veut que vous
espériez de lui de grandes choses et que cette espérance vous
comble de joie.
Ce très riche et très bon Père veut vous donner le
royaume de sa grâce, dare vobis regnum. Vous êtes rois et
prêtres de Dieu, fecisti nos Deo nostro reges et sacerdotes,
par votre christianisme et votre sacerdoce; mais vous êtes
encore rois par votre pauvreté volontaire: beati pauperes
spiritu, quoniam ipsorum est regnum coelorum. Notre-Seigneur
ne vous dit pas seulement [que vous aurez] le royaume des
cieux, mais qu'étant pauvres d'esprit, vous l'avez déjà. Et
comment?
6. 1 Parce que, comme dans le ciel on n'a besoin de rien de
ce qui est sur la terre, on regorge des biens spirituels et on
possède Dieu pleinement, de même les pauvres volontaires,
comme vous, n'ont besoin de rien sur la terre, parce qu'ils ne
veulent ni ne désirent rien; autrement ils ne seraient pas
pauvres d'esprit; car, comme dit le sage: substantia inopis
secundum cor ejus, tels que sont l'esprit et le coeur du
pauvre, telles sont ses richesses. Si son coeur est content,
il est riche et rien ne lui manque.
7. 2 Les pauvres d'esprit sont riches en foi et dans les
autres vertus. Pauperes in hoc saeculo divites in fide;
affatim dives est qui cum Christo pauper est: celui-là est
abondamment riche qui est pauvre d'esprit avec Jésus-Christ,
dit saint Jérôme.
Il est riche en consolations divines: parasti in
dulcedine tua pauperi, Deus. N'étant point piqué des épines
des riches, ni des désirs des richesses, et se sevrant comme
un roi du ciel des douceurs terrestres charnelles, il regorge
des consolations divines, praebebit delicias regibus. [Ps
67,11]
Il est même riche dans la gloire du ciel, quoique son
corps n'y soit pas encore. Ce qui vaut de l'or, on peut dire
que c'est de l'or: aurum est quod aurum valet. De même ce qui
vaut le ciel, on peut dire que c'est le ciel. Que vaut la
pauvreté d'esprit? Le royaume des cieux, la gloire des cieux.
8. 3 Le vrai pauvre d'esprit a la possession de Dieu même
dans son coeur. Quid enim gloriosus homini quam sua vendere et
Christum emere? dit saint Augustin; qu'y a-t-il de plus
glorieux à l'homme que de vendre son bien pour acheter Jésus?
O l'heureuse vente, ô l'heureux achat. Nescit homo praetium
ejus. Sachez, mes chers frères, qu'aucun homme ne connaît le
prix de votre pauvreté évangélique, semper ergo dives est
christiana paupertas, quia plus est quod habet quam quod non
habet; nec timet in hoc mundo indigentia laborare cui donatum
est in omnium rerum Domino omnia possidere.
9. Afin que vous augmentiez ce riche trésor de votre
pauvreté et ce grand royaume que vous avez conquis, gardez ces
trois pratiques:
1 - Estimez beaucoup et chérissez tendrement la pauvreté
réelle et affective que vous avez embrassée; personne ne
devient riche avec plus de facilité et ne sait mieux user des
richesses, dit un savant évêque, que le vrai pauvre d'esprit,
sachant bien que les richesses ne servent qu'à rendre pauvres
et misérables ceux qui les aiment en les possédant et qu'elles
font vraiment riches et heureux ceux qui s'en défont par un
saint et glorieux mépris: divitiae pauperem faciunt et
miserum, si diligantur; beatum et divitem, si pro Christo
contemnantur (Umbertus).
Prenez donc garde de regarder derrière vous ce que vous
avez laissé de patrimoine ou de bénéfice: nemo mittens manum
ad aratrum et respiciens post se est aptus regno Dei. Prenez
garde de regarder à côté de vous avec envie mille biens
ecclésiastiques ou autres, que vous pouvez justement obtenir
comme tant d'autres, quae concupiscentiam proebent insensato.
[cf. Sg 15,5]
10. 2 - Expérimentez volontiers les effets de la pauvreté;
savoir: 1 les travaux, ne mangeant votre pain qu'à la sueur
de votre front, dans une chaire ou un confessionnal; 2 les
humiliations et les mépris qu'on fait ordinairement des
pauvres ecclésiastiques; 3 les autres incommodités qui
accompagnent la pauvreté, soit dans les vêtements, soit dans
la nourriture, soit dans les logements, soit dans les fatigues
et les voyages.
11. 3 - Soupirez incessamment après les biens éternels et
frappez à la porte de la miséricorde de Jésus-Christ, qui
reconnaît et qui exauce pour sûr tous ceux qui sont revêtus
des livrées de sa pauvreté. Le vrai pauvre d'esprit regarde le
monde comme un désert affreux et en retire son coeur; il ne
s'embarrasse point de ses affaires: nemo militans Deo implicat
se negotiis. Il ne rend à ses parents et ses amis du monde...
[texte inachevé]