Saint Louis-Marie Grignion de Montfort Règles des Prêtres Missionnaires de la Compagnie de Marie
FIN PARTICULIRE DE LA COMPAGNIE.
LEUR DÉTACHEMENT OU PAUVRETÉ ÉVANGÉLIQUE
LEURS ORAISIONS ET EXERCICES DE PIÉTÉ
LEUR CHARITÉ ENVERS LE PROCHAIN
PRATIQUES DE LEURS MISSIONS
50. 1. Ils font toutes leurs missions à l'abandon à la
Providence, ne prenant aucune fondation pour aucune mission à
l'avenir, comme font quelques communautés de missionnaires
fondées par le Roi ou par des particuliers; et cela pour
quatre principales raisons:
La première, parce que c'est l'exemple que Jésus-Christ,
les Apôtres et les hommes apostoliques nous en ont donné;
La seconde, parce que Dieu rend au centuple dès ce monde
et donne souvent (comme l'expérience fait connaître) la grâce
de la conversion à ceux et celles qui font la charité aux
missionnaires, pour les récompenser de leurs aumônes: date et
dabitur vobis;
La troisième, parce qu'il se fait, par cette mutuelle
charité, un gain et une union admirable des coeurs des
auditeurs avec celui du prédicateur et des missionnaires; la
charité engendre la charité;
La quatrième, parce que la grâce d'une mission faite
ainsi à la Providence et dans une si grande dépendance d'un
public - ce que la nature orgueilleuse refuit infiniment - est
sans comparaison plus abondante et plus puissante pour
convertir les âmes que celles des missions fondées, où les
missionnaires sont dans une espèce d'élévation et
d'indépendance, qui flattent l'orgeuil et qui, en leur
procurant de l'honneur, ne leur en procurent pas plus d'amour
du prochain et de grâce de Dieu; il faut avoir expérimenté ces
deux manières de faire les missions pour le connaître.
51. 2. Quand ils trouvent une personne assez charitable pour
vouloir défrayer elle seule toute la mission, ils la
remercient de sa charité, sans la recevoir, et ils la prient
seulement de leur donner ce qui lui plaira, pendant le temps
de la mission, lorsqu'ils seront exposés à la merci du public;
car il n'est pas à propos que, par sa charité entière, elle
détruise l'abandon à la Providence, que les missionnaires
professent pour le bien même du public.
52. 3. Ils vont, un ou deux, quand ils peuvent, quinze jours
devant que la mission commence, l'annoncer, afin que par cette
annonce qui doit être pathétique: 1 ils fassent cesser le
péché; 2 ils préparent la voie à Jésus-Christ, comme
faisaient les disciples que Jésus-Christ envoyait deux à deux
dans les lieux où il devait venir; 3 ils embrassent la prière
pour mériter la grâce de la mission, leur inspirant de réciter
tous les jours le chapelet ou le rosaire. Par ce moyen, quand
on arrive, on trouve tout bien disposé.
53. 4. Ils proportionnent le nombre des personnes auxquelles
ils font la mission, au nombre de missionnaire qu'ils sont;
car, qui trop embrasse, mal étreint. Ainsi, ils ne font la
mission qu'à une paroisse, si elle est grande, ou à un certain
nombre de petites paroisse voisines les unes des autres; et
ils ne reçoivent point, que par un privilège spécial du
supérieur, aucuns paroissiens des autres paroisses qui ne sont
pas marquées pour la mission. Je n'entends pas qu'on les
rejette de l'audience de la prédication, puisque l'église et
la parole de Dieu sont pour tout le monde; mais on ne les
entend point en confession, afin par ce moyen que les
paroissiens de la paroisse dans laquelle ils sont entretenus,
soient plus saintemant pressés à se confesser, sans qu'ils
puissent se plaindre justement qu'on confesse ceux des
paroisses étrangères avant eux chez qui [se] tient la mission.
54. 5. Ils prêchent soir et matin régulièrement, les jours
ouvriers, à la commodité des peuples, qu'ils tâchent de
prendre; et leur prédication ne doit durer ordinairement que
trois quarts d'heure et ne pas passer une heure. Ils prêchent
les jours de fête, outre ces deux fois, encore une fois à la
grand-messe, et à une heure environ après-midi, ils font une
conférence pour instruire le peuple.
55. 6. Cette conférence est une instruction familière par
demande et par réponse sur les vérités de la religion. Ils
peuvent prendre une matière particuliere de la conférence, en
parler succinctement et puis laisser un autre missionnaire
proposer des questions pratiques, en peu de mots et
sérieusement, sur la matière posée; ils peuvent aussi
permettre à tout le peuple de proposer ses difficultés, soit
sur cette matière soit sur une autre, pourvu que le
missionnaire, qui fait la conférence, soit prêt sur tout.
Cette dernière manière est la plus hardie et la plus utile au
peuple.
56. 7. Le but de leur mission est de renouveler l'esprit du
christianisme dans les chrétiens. Ainsi ils en font renouveler
les promesses, comme ils en ont l'ordre du Pape, de la manière
la plus solennelle, et ils ne donnent l'absolution et la
communion à aucun pénitent qu'il n'ait auparavant, avec les
autres, renouvelé les promesses de son Baptême. Ils faut avoir
expérimenté les fruits de cette pratique pour connaître son
prix.
57. 8. Ils établissent de toutes leurs forces, pendant toute
la mission, soit par des lectures au matin, soit dans les
conférences, soit dans les prédications, la grande dévotion du
Rosaire de tous les jours; et ils agrègent en cette Confrérie
(comme ils en ont le pouvoir) tous ceux qu'ils peuvent; et ils
leur expliquent les prières et les mystères dont il est
composé, soit par leurs paroles, soit par des peintures qu'ils
ont pour cet effet; et ils leurs donnent l'exemple, récitant
tous les jours de la mission le Rosaire tout haut, tout
entier, en français, avec les offrandes des mystères, à trois
temps différents: savoir: un chapelet le matin pendant qu'on
célèbre la sainte messe, avant la prédication; un second à
midi devant le catéchisme, pendant que les enfants s'y
assemblent; et le toisième le soir, avant la dernière
prédication. Voilà un des plus grands secrets venu du ciel
pour arroser les coeurs de la rosée céleste et leur faire
porter le fruit de la parole de Dieu, comme il expérimentent
tous les les jours.
58. 9. Ils font faire presque à tout le monde une confession
générale; si elle ne leur est pas nécessaire par l'invalidité
des confessions précédentes, elle leur est toujours utile par
l'humilité qu'on y pratique, à moins que ce ne soit à des âmes
scrupuleuses, qui sont rares.
59. 10. Ils ne sont ni trop rigides, ni trop relâchés dans
les pénitences et les absolutions, prenant le milieu de la
sagesse et de la vérité qui leur est marqué en détail dans la
"Méthode uniforme que les missionnaires doivent garder dans
l'administration du sacrement de Pénitence pour renouveler
l'esprit du Christianisme"... et dans un petit livre manuscrit
plus étendu qu'ils ont dans les mains, intitulé le Veni-mecum
du bon missionnaire.
60. 11. Le ministère de la prédication de la parole de Dieu
étant le plus étendu, le plus salutaire et le plus difficile
de tous, les missionnaires s'appliquent incessamment à l'étude
et la prière pour obtenir de Dieu le don de la sagesse, si
nécessaire à un vrai prédicateur pour connaître, goûter et
faire goûter aux âmes la vérité. Rien n'est si aisé que de
prêcher et de prêcher à la mode. Mais que c'est une chose
difficile et relevée que de prêcher à l'apostolique; que de
parler comme le sage, ex sententia ou, comme dit Jésus-Christ,
ex abundantia cordis, que d'avoir reçu de Dieu, pour
récompense de ses travaux et prières, une langue, une bouche
et une sagesse à laquelle les ennemis de la vérité ne puissent
résister: mercedem linguam... os et sapientiam cui non
poterunt resistere omnes adversarii vestri. [Lc 21,15] A peine
de mille prédicateurs - je dirais dix mille sans mentir, - y
en ait-il un qui ait ce grand don du Saint-Esprit; la plupart
n'ont que la langue, la bouche et la sagesse de l'homme; c'est
pourquoi peu d'âmes sont éclairées et touchées et converties
par leurs paroles, quoiqu'ils les aient tirées de l'Ecriture
sainte et des Pères, quoique les vérités qu'ils prêchent
soient très bien appuyées, très bien prouvées, très bien
agencées, très bien prononcées, très bien écoutées et
applaudies. Leurs sermons sont bien composés, leur langage est
trié et chosi, leurs pensées sont ingénieuses, les citations
de l'Ecriture sainte et des Pères leur sont familières, leurs
gestes sont bien réglés, leur éloquence est vive; mais,
malheur! tout cela, n'étant qu'humain et naturel, ne produit
que de l'humain et du naturel. Une secrète complaisance, qui
sort de cette pièce si bien composée et étudiée, sert d'une
flèche à Lucifer, l'orgueilleux savant, pour aveugler le
prédicateur; une admiration populaire, qui sert de passe-temps
aux mondains pendant le sermon et d'entretien après le sermon
dans les compagnies, est tout le fruit de leurs peines et de
leurs sueurs. Comme ils ne battent que l'air et ne frappent
que les oreilles, il ne faut pas s'étonner si personne ne les
attaque, si l'esprit du mensonge ne dit mot, in pace sunt ea
quae possidet; comme le prédicateur à la mode ne frappe point
au coeur, qui est la citadelle où ce tyran est renfermé, il ne
s'étonne pas beaucoup du grand bruit qu'on mène au dehors.
61. Mais qu'un prédicateur plein de la parole et de l'esprit
de Dieu vienne seulement à ouvrir la bouche, tout l'enfer
sonne l'alarme et remue ciel et terre pour se défendre. C'est
pour lors qu'il se fait une sanglante bataille entre la vérité
qui passe par la bouche du prédicateur et le mensonge qui sort
de l'enfer; entre ceux des auditeurs qui deviennent par leur
foi les amis de cette vérité et les autres qui, par leur
incrédulité, deviennent les suppôts du père du mensonge. Un
prédicateur de cette trempe divine va remuer par ses seules
paroles de la vérité, quoique très simplement dites, toute une
ville et toute une province par la guerre qu'il y excite; ce
qui est une suite du combat terrible qui fut livré dans le
ciel entre la vérité de saint Michel et le mensonge de
Lucifer, et un effet des inimitiés que Dieu même a mis[es]
entre la race prédestinée de la sainte Vierge et la race
maudite du serpent. Il ne faut donc pas s'étonner de la fausse
paix, où on laisse les prédicateurs à la mode, et des étranges
persécutions et calomnies qu'on livre et qu'on lance contre
les prédicateurs qui ont reçu le don de la parole éternelle,
tels que doivent être un jour tous les enfants de la Compagnie
de Marie, evangelizantibus virtute multa.
62. 12. Le missionnaire apostolique prêche donc avec
simplicité, sans artifice; avec vérité, sans fables, ni
mensonges, ni déguisements; avec intrépidité et autorité, sans
crainte ni respect humain; avec charité, sans blesser
personne; et avec sainteté, n'ayant que Dieu seul en vue, sans
intérêt que celui de sa gloire, et en pratiquant le premier ce
qu'il enseigne aux autres: coepit Jesus facere et docere. [Ac 1,1]
63. 13. Ils évitent en chaire plusieurs écueils, où le démon
fait souvent tomber les nouveaux prédicateurs et quelques
[autres], sous prétexte de zèle: 1 la complaisance en ce
qu'on dit ou dans le fruit qu'on fait; 2 la louange de sa
prédication qu'on mendie directement ou indirectement après
qu'on a prêché; 3 l'envie qu'on a d'en voir d'autres plus
suivis, plus pathétiques, etc.; 4 la médisance sur
quelqu'autre prédicateur écoutée ou débitée; 5 la colère
toute naturelle où on se laisse facilement aller lorsque
l'auditeur en donne quelque sujet pendant que le prédicateur
prêche; 6 l'apostrophe directe ou indirecte de son auditeur,
soit en le nommant indirectement, soit en le désignant de
l'oeil ou de la main, soit en disant des choses qui ne peuvent
convenir qu'à sa personne; 7 la condamnation continuelle,
affectée ou outrée des riches et des grands du monde, des
magistrats ou officiers de justice; 8 la censure, la critique
ou le détail des péchés des prêtres.
Tous ces excès sont blâmables, capables de révolter les
esprits et de faire perdre au missionnaire, quelque saint et
bien intentionné qu'il soit, tous les fruits de la parole de
Dieu ou du moins une très grande partie.
64. 14. Il faut qu'un bon prédicateur se regarde dans la
chaire comme un criminal innocent sur la sellette où il faut
qu'il souffre, sans se venger, les faux jugements de tout un
auditoire souvent indisposé contre lui, les censures et les
mauvaises interprétations que les savants orgueilleux font de
ses paroles, les railleries, les moqueries et les mépris que
font les impies de sa personne et enfin toute la calomnie de
tout un peuple, faisant consister la force de son zèle, non
pas seulement à prêcher avec vigueur, mais à souffrir tous les
orages comme un rocher sans plier et même sans s'en remuer
davantage, laissant à la vérité qu'il annonce et qui
naturellement engendre la haine, la commission de le délivrer
du mensonge: veritas liberabit me, et qui ne manque jamais de
le faire tôt ou tard, pourvu qu'on la laisse faire.
65. 15. Enfin, qu'ils se souviennent que Jésus-Christ les
envoie comme les Apôtres sicut agnos inter lupos. [Lc 10,3] Il
faut donc qu'ils imitent la douceur, l'humilité, la patience
et la charité de l'agneau, afin de changer par ce moyen tout
divin les loups mêmes en agneaux.