Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle
CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,
CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse
CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde
CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE III
            
            
Merveilles de la puissance de la divine Sagesse
            
            
dans la création du monde et de l'homme.
         
[1. Dans la création du monde]
31. La Sagesse éternelle a commencé à éclater hors du sein de
            
            
Dieu, lorsqu'après une éternité entière, elle fait la lumière,
            
            
le ciel et la terre. Saint Jean dit que tout a été fait par le
            
            
Verbe, c'est-à-dire la Sagesse éternelle: Omnia per ipsum
            
            
facta sunt. [Jn 1,3]
            
            
Salomon dit qu'elle est la mère et l'ouvrière de toutes
            
            
choses: Horum omnium mater est. Omnium artifex Sapientia.
            
            
Remarquez qu'il ne l'appelle pas seulement l'ouvrière de
            
            
l'univers, mais la mère, parce que l'ouvrier n'aime pas et
            
            
n'entretient pas son ouvrage comme une mère fait son enfant.
         
32. La Sagesse éternelle, ayant tout créé, demeure en toutes
            
            
choses pour les contenir, soutenir et renouveler: omnia
            
            
continet, omnia innovat. C'est cette beauté souverainement
            
            
droite qui, après avoir créé le monde, y a mis le bel ordre
            
            
qui y est. Elle a séparé, elle a composé, elle a pesé, elle a
            
            
ajouté, elle a compté tout ce qui y est.
            
            
Elle a étendu les cieux; elle a placé le soleil, la lune
            
            
et les étoiles et les planètes avec ordre; elle a posé les
            
            
fondements de la terre; elle a donné desbornes et des lois à
            
            
la mer et aux abîmes; elle a formé les montagnes; elle a tout
            
            
pesé et balancé jusqu'aux fontaines. Enfin, dit-elle, j'étais
            
            
avec Dieu, et je réglais toutes choses avec une justesse si
            
            
parfaite tout à la fois et une variété si agréable, que
            
            
c'était une espèce de jeu que je jouais pour me divertir et
            
            
divertir mon Père: Cum eo eram cuncta componens; et delectabar
            
            
per singulos dies, ludens coram eo omni tempore, ludens in
            
            
orbe terrarum. [Sg 1,7]
         
33. Ce jeu ineffable de la divine Sagesse se voit, en effet,
            
            
dans les différentes créatures qu'elle a faites dans
            
            
l'univers. Car, sans parler des différentes espèces d'anges,
            
            
qui sont, pour ainsi dire, infinis en nombre; sans parler des
            
            
différentes grandeurs des étoiles, ni des différents
            
            
tempéraments des hommes, quel admirable changement ne voyons-
            
            
nous pas dans les saisons et dans les temps, quelle variété
            
            
d'instincts dans les animaux, quelles différentes espèces dans
            
            
les plantes, quelles différentes beautés dans les fleurs,
            
            
quels différents goûts dans les fruits! Quis sapiens, et
            
            
intelliget haec: Qui est celui à qui la Sagesse s'est
            
            
communiquée? Et celui-là seul aura l'intelligence de ces
            
            
mystères de la nature.
         
34. La Sagesse les a révélés aux saints, comme nous voyons
            
            
dans leurs vies; et ils ont été quelquefois si surpris de voir
            
            
la beauté, la douceur et l'ordre de la divine Sagesse dans les
            
            
plus petites choses, comme une abeille, une fourmi, un épi de
            
            
blé, une fleur, un petit ver de terre, qu'ils en tombaient
            
            
dans l'extase et le ravissement.
         
[2. Dans la création de l'homme]
35. Si la puissance et la douceur de la Sagesse éternelle a
            
            
tant éclaté dans la création, la beauté et l'ordre de
            
            
l'univers, elle a brillé bien davantage dans la création de
            
            
l'homme, puisque c'est son chef d'oeuvre, l'image vivante de
            
            
sa beauté et de ses perfections, le grand vaisseau de ses
            
            
grâces, le trésor admirable de ses richesses, et son vicaire
            
            
unique sur la terre: Sapientia tua fecisti hominem, ut
            
            
dominaretur omni creaturae quae a te facta est. Sap. 9. [Sg
            
            
9,2]
         
36. Il faudrait ici, à la gloire de cette belle et puissante
            
            
ouvrière, expliquer la beauté et l'excellence originelle que
            
            
l'homme reçut d'elle lorsqu'elle le créa; mais le péché qu'il a
            
            
commis, dont les ténèbres et lessouillures ont rejailli
            
            
jusque sur moi, misérable enfant d'Eve, m'ont tellement
            
            
obscurci l'entendement que je ne puis que très imparfaitement
            
            
en parler.
         
37. Elle fit, pour ainsi dire, des copies et des expressions
            
            
brillantes de son entendement, de sa mémoire et de sa volonté
            
            
et les donna à l'âme de l'homme pour être le portrait vivant
            
            
de la Divinité; elle alluma dans son coeur un incendie de pur
            
            
amour pour Dieu, elle lui forma un corps tout lumineux, et
            
            
elle renferma en lui, comme en raccourci, toutes les
            
            
perfections différentes des anges, des bêtes et autres
            
            
créatures.
         
38. Tout dans l'homme était lumineux sans ténèbres, beau sans
            
            
laideur, pur sans souillure, réglé sans désordre et sans
            
            
aucune tache ni imperfection. Il avait pour apanage la lumière
            
            
de la Sagesse dans son esprit, par laquelle il connaissait
            
            
parfaitement son Créateur et ses créatures. Il avait la grâce
            
            
de Dieu dans son âme, par laquelle il était innocent et
            
            
agréable aux yeux du Très-Haut. Il avait dans son corps
            
            
l'immortalité. Il avait le pur amour de Dieu dans son coeur,
            
            
sans crainte de la mort, par lequel il l'aimait
            
            
continuellement, sans relâche, et purement, pour l'amour de
            
            
lui-même. Enfin il était si divin, qu'il était continuellement
            
            
hors de lui-même, transporté en Dieu, sans qu'il eût aucune
            
            
passion à vaincre ni aucun ennemi à combattre.
            
            
O libéralité de la Sagesse éternelle envers l'homme! O
            
            
heureux état de l'homme dans son innocence!
         
39. Mais, malheur des malheurs! Voilà ce vaisseau tout divin
            
            
qui se brise en mille morceaux; voilà cette belle étoile qui
            
            
tombe; voilà ce beau soleil qui est couvert de boue; voilà
            
            
l'homme qui pèche, et qui, en péchant, perd sa sagesse, son
            
            
innocence, sa beauté, son immortalité. Et enfin il perd tous
            
            
les biens qu'il avait reçus, et est asailli d'une infinité de
            
            
maux. Il a l'esprit tout hébété et ténébreux: il ne voit plus
            
            
rien. Il a le coeur tout glacé pour Dieu: il ne l'aime plus.
            
            
Il a l'âme toute noire de péchés: elle ressemble au démon. Il
            
            
a des passions toutes déréglées: il n'en est plus le maître.
            
            
Il n'a que la compagnie des démons, il en est devenu la
            
            
demeure et l'esclave. Il est attaqué des créatures: elles lui
            
            
font la guerre.
            
            
Voilà l'homme en un instant devenu l'esclave des démons,
            
            
l'objet de la colère de Dieu et lavictime des enfers!
            
            
Il se paraît à lui-même si hideux que de honte il va se
            
            
cacher. Il est maudit et condamné à la mort; il est chassé du
            
            
paradis terrestre et il n'en a plus dans les cieux. Il doit
            
            
mener, sans aucune espérance d'être heureux, une vie
            
            
malheureuse sur la terre maudite. Il y doit mourir en
            
            
criminel, et, après sa mort, être comme le diable, à jamais
            
            
damné dans son corps et dans son âme, lui et tous ses enfants.
            
            
Tel est le malheur épouvantable où l'homme, en péchant,
            
            
tomba; tel est l'arrêt équitable que la justice de Dieu
            
            
prononça contre lui.
         
40. Adam, en cet état, est comme désespéré; il ne peut
            
            
recevoir de remède ni des anges ni des autres créatures. Rien
            
            
n'est capable de le réparer parce qu'il était trop beau et
            
            
trop bien fait en sa création, et qu'il est, par son péché,
            
            
trop hideux et trop souillé. Il se voit chassé du paradis et
            
            
de la présence de Dieu, il voit la justice de Dieu qui le
            
            
poursuit avec toute sa postérité; il voit le ciel fermé et
            
            
l'enfer ouvert, et personne pour lui ouvrir l'un et fermer
            
            
l'autre.