Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle

 Prière à la Sagesse éternelle

 AVIS QUE LA DIVINE SAGESSE DONNE AUX PRINCES ET AUX GRANDS DU MONDE DANS LE SIXIEME CHAPITRE DU LIVRE DE LA SAGESSE

 REMARQUES DE L'AUTEUR

 CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,

 CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse

 CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde

 CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE VI Les désirs empressés que la divine Sagesse

 CHAPITRE VII L'élection de la vraie Sagesse.

CHAPITRE VII
L'élection de la vraie Sagesse.

74. Dieu a sa Sagesse; et c'est l'unique et véritable qui
doive être aimée et recherchée comme un grand trésor. Mais le
monde corrompu a aussi sa sagesse, et elle doit être condamnée
et détestée comme mauvaise et pernicieuse. Les philosophes
ont aussi leur sagesse; et elle doit être méprisée comme
inutile, et souvent comme dangereuse au salut.
Nous avons jusqu'ici parlé de la Sagesse de Dieu aux âmes
parfaites, comme dit l'Apôtre; mais, de peur qu'elles ne
soient trompées par le faux brillant de la sagesse mondaine,
montrons-en l'imposture et la malignité.

[1 La sagesse mondaine]

75. La sagesse mondaine est celle dont il est dit: Perdam
sapientiamn sapientium 1 Corint: je perdrai la sagesse des
sages selon le monde. Sapientia carnis inimica est Deo, Rom 8:
la sagesse de la chair est ennemie de Dieu. Non est ista
sapientia desursum descendens, sed terrena, animalis,
diabolica, Jacob, 3.13: cette sagesse ne vient pas du ciel,
mais c'est une sagesse terrestre, animale et diabolique.
Cette sagesse du monde est une conformité parfaite aux
maximes et aux modes du monde; c'est une tendance continuelle
vers la grandeur et l'estime; c'est une recherche continuelle
et secrète de son plaisir et de son intérêt, non pas d'une
manière grossière et criante, en commettant quelque péché
scandaleux, mais d'une manière fine, trompeuse et politique,
autrement ce ne serait plus selon le monde une sagesse, mais
un libertinage.

76. Un sage du siècle est un homme qui sait bien faire ses
affaires, et faire réussir tout à son avantage temporel, sans
quasi paraître vouloir le faire; qui sait l'art de déguiser et
de tromper finement sans qu'on s'en aperçoive; qui dit ou fait
une chose et pense l'autre; qui n'ignorerien des airs et des
compliments du monde; qui sait s'accommoder à tous pour en
venir à ses fins, sans se mettre beaucoup en peine de
l'honneur et de l'intérêt de Dieu; qui fait un secret mais
funeste accord de la vérité avec le mensonge, de l'Evangile
avec le monde, de la vertu avec le péché, de Jésus-Christ avec
Bélial; qui veut passer pour un honnête homme, mais non pas
pour un dévôt; qui méprise, empoisonne ou condamne aisément
toutes les pratiques de piété qui ne s'accommodent pas avec
les siennes. Enfin, un sage mondain est un homme qui, ne se
conduisant que par la lumière des sens et de la raison
humaine, ne cherche qu'à se couvrir des apparences de chrétien
et d'honnête homme, sans se mettre beaucoup en peine de plaire
à Dieu ni d'expier, par la pénitence, les péchés qu'il a
commis contre sa divine Majesté.

77. La conduite de ce sage du monde est fondée sur le point
d'honneur, sur le "qu'en dira-t-on", sur la coutume, sur la
bonne chère, sur l'intérêt, sur le grand air, sur le mot à
rire. Ce sont là les sept mobiles innocents, comme il croit,
sur quoi il se tient appuyé pour mener une vie tranquille.
Il a des vertus particulières qui le font canoniser des
mondains, comme la bravoure, la finesse, la politique, le
savoir-faire, la galanterie, la politesse, l'enjouement. Il
prend pour des péchés considérables l'insensibilité, la
bêtise, la pauvreté, la rusticité, la bigoterie.

78. Il suit le plus fidèlement qu'il peut les commandements
que le monde lui a faits:
Tu sauras bien le monde;
Tu vivras en honnête homme;
Tu feras bien tes affaires;
Tu conserveras ce qui t'appartient;
Tu sortiras de la poussière;
Tu te feras des amis;
Tu hanteras le beau monde;
Tu feras bonne chère;
Tu n'engendreras point de mélancolie;
Tu éviteras la singularité, la rusticité, [la] bigoterie.

79. Jamais le monde n'a été si corrompu qu'il l'est, parce
que jamais il n'a été si fin, si sage à son sens, ni si
politique. Il se sert si finement de la vérité pour inspirer
le mensonge, de la vertu pour autoriser le péché, et des
maximes mêmes de Jésus-Christ pour autoriser les siennes, que
les plus sages selon Dieu y sont souvent trompés.
Le nombre de ces sages selon le monde, ou de ces fols
solon Dieu, est infini: Stultorum infinitus est numerus. [Qo
1,13]

80. La sagesse terrestre, dont parle saint Jacques, est
l'amour des biens de la terre. C'est de cette sagesse dont les
sages du monde font une profession secrète, quand ils
attachent leur coeur à ce qu'ils possèdent; quand ils tâchent
de devenir riches; quand ils intentent des procès et font des
chicanes inutiles pour les avoir ou pour les conserver; quand
ils ne pensent, ils ne parlent, ils n'agissent la plus grande
partie du temps que dans la vue d'avoir ou de conserver
quelque chose de temporel, ne s'appliquant à faire leur salut
et aux moyens de le faire, comme la confession, la communion,
l'oraison, etc., qu'à la légère, par manière d'acquit, par
intervalles et pour sauver les apparences.

81. La sagesse charnelle est l'amour du plaisir. C'est de
cette sagesse dont les sages du siècle font profession quand
ils ne cherchent que les plaisirs des sens; quand ils aiment
la bonne chère; quand ils éloignent de soi tout ce qui peut
mortifier ou incommoder le corps, comme les jeûnes, les
austérités, etc.; quand ils ne pensent plus ordinairement qu'à
boire, qu'à manger, qu'à jouer, qu'à rire, qu'à se divertir et
qu'à passer agréablement son temps; quand ils recherchent les
lits mollets, les jeux divertissants, les festins agréables et
les belles compagnies.
Et, après que sans scrupules ils ont pris tous ces
plaisirs qu'ils ont pu prendre sans déplaire au monde et sans
incommoder leur santé, ils cherchent le confesseur le moins
scrupuleux (c'est ainsi qu'ils nomment les confesseurs
relâchés qui ne font pas leur devoir), afin d'avoir de lui, à
bon marché, la paix dans leur vie molle et efféminée et
l'indulgence plénière de tous leurs péchés. Je dis: à bon
marché; car ces sages selon la chair ne veulent ordinairement
pour pénitence que quelques prières ou quelques aumônes,
haïssant ce qui peut affliger le corps.

82. La sagesse diabolique est l'amour et l'estime des
honneurs. C'est de cette sagesse dont les sages du siècle font
profession quand ils aspirent, quoique secrètement, aux
grandeurs, aux honneurs, aux dignités et aux emplois relevés;
quand ils recherchent à être vus, estimés, loués et applaudis
des hommes; quand ils n'envisagent, dans leurs études, dans
leurs travaux, dans leurs combats, dans leurs paroles et dans
leurs actions, que l'estime et la louange des hommes, pour
passer pour des personnes dévotes, pour des gens savants, pour
des grands capitaines, pour des savants jurisconsultes, pour
des gens d'un mérite infini et distingué ou de grande
considération; quand ils ne peuvent souffrir qu'on les méprise
et qu'on les blâme; quand ils cachent ce qu'ils ont de
défectueux et font montre de ce qu'ils ont de beau.

83. Il faut, avec notre Seigneur Jésus la Sagesse incarnée,
détester et condamner ces trois sortes de sagesse fausse pour
acquérir la véritable: qui ne cherche point son propre
intérêt, qui ne se trouve point dans la terre et dans le coeur
de ceux qui vivent à leur aise, et qui a en abomination tout
ce qui est grand et relevé devant les hommes.

[2. La sagesse naturelle]

84. Outre cette sagesse mondaine, qui est condamnable et
pernicieuse, il y a une sagesse naturelle parmi les
philosophes.
C'était cette sagesse naturelle que les Egyptiens et les
Grecs recherchaient autrefois avec tant d'empresssement:
Graeci sapientiam quaerunt. Ceux qui avaient acquis cette
sagesse étaient appelés mages ou sages. Cette sagesse est une
connaissance éminente de la nature dans ses principes. Elle
fut communiquée en plénitude à Adam dans son innocence; elle
fut donné en abondance à Salomon, et dans la suite des temps
quelques grands hommes en ont reçu quelque partie, comme
l'histoire nous apprend.

85. Les philosophes vantent leurs arguments de philosophie
comme un moyen d'acquérir cette sagesse.
Les chimistes vantent les secrets de leur cabale pour
trouver la pierre philosophale, dans laquelle ils s'imaginent
que cette sagesse est renfermée.
A la vérité, la philosophie de l'Ecole, étudiée bien
chrétiennement, ouvre l'esprit et le rend capable des sciences
supérieures; mais elle ne donnera jamais cette prétendue
sagesse naturelle si vantée dans l'antiquité.

86. La chimie ou alchimie, ou la science de dissoudre les
corps naturels et de les résoudre à leurs peincipes, est
encore plus vaine et plus dangereuse. Cette science, quoique
véritable en elle-même, a dupé et trompé une infinité de gens,
par rapport à la fin qu'ils se proposaient; et je ne doute
point, par l'expérience que j'en ai moi-même, que le démon ne
s'en serve aujourd'hui pour faire perdre l'argent et le temps,
la grâce et l'âme même, sous prétexte de trouver la pierre
philosophale. Il n'y a point de science qui propose
l'exécution de plus grandes choses, et par des moyens plus
apparents.
Cette science promet la pierre philosophale, ou une
poudre qu'ils nomment de projection qui, jetée en quelque
métal que ce soit, s'il est fondu, le change en argent ou en
or, qui donne la santé, qui guérit les maladies, qui même
prolonge la vie, et qui opère une infinité de merveilles qui
passent chez les ignorants pour divines et miraculeuses.
Il y a une bande de gens qui se disent savants en cette
science, qu'on nomme cabalistes, qui gardent les mystères de
cette science si cachés qu'ils aimeraient mieux perdre la vie
que de révéler leurs prétendus secrets.

87. Ils autorisent ce qu'ils disent:
1 Par l'histoire de Salomon qu'ils assurent avoir reçu
le secret de la pierre philosophale, et dont ils vantent un
livre secret, mais faux et pernicieux, nommé la Clavicule de
Salomon.
2 Par l'histoire d'Esdras, à qui Dieu donna à boire une
liqueur céleste qui lui donna la Sagesse, comme il est marqué
dans le 7 livre d'Esdras.
3 Par les histoires de Raymond Lulle et de plusieurs
autres grands philosophes qu'ilsassurent avoir trouvé cette
pierre philosophale.
4 Enfin, pour mieux couvrir du manteau de la piété leurs
tromperies, ils disent que c'est un don de Dieu, qu'il ne
donne qu'à ceux qui l'ont longtemps demandé et qui l'ont
mérité par leurs travaux et par leurs prières.

88. Je vous ai rapporté les rêveries ou les illusions de
cette science vaine, afin qu'on n'y soit pas trompé comme tant
d'autres, car j'en sais qui, après avoir fait plusieurs
dépenses inutiles et perdu beaucoup de temps à chercher ce
secret, sous les plus beaux et pieux prétextes du monde, et de
la manière la plus dévote, ont été enfin obligés de s'en
repentir, en avouant leurs tromperies et leurs illusions.
Je ne conviens pas que la pierre philosophale soit
possible. Le savant Delrio l'assure et la prouve possible;
d'autres la nient. Quoiqu'il en soit, il n'est pas convenable
et il est même dangereux qu'un chrétien s'applique à la
chercher. C'est faire injure à Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée, dans lequel sont tous les trésors de la Sagesse et
de la science de Dieu, tous les biens de la nature, de la
grâce et de la gloire. C'est désobéir au Saint-Esprit qui
dit: "Altiora te ne quaesieris, Eccli 3: Ne cherchez point ce
qui est au-dessus de vos forces'" [Si 3,22]

[3. Conclusion]

89. Demeurons-en donc à Jésus-Christ, la Sagesse éternelle et
incarnée, hors duquel il n'y a qu'égarement, que mensonge et
que mort: Ego sum via, veritas et vita.
Voyons ses effets dans les âmes.