Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle

 Prière à la Sagesse éternelle

 AVIS QUE LA DIVINE SAGESSE DONNE AUX PRINCES ET AUX GRANDS DU MONDE DANS LE SIXIEME CHAPITRE DU LIVRE DE LA SAGESSE

 REMARQUES DE L'AUTEUR

 CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,

 CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse

 CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde

 CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE VI Les désirs empressés que la divine Sagesse

 CHAPITRE VII L'élection de la vraie Sagesse.

CHAPITRE III
Merveilles de la puissance de la divine Sagesse
dans la création du monde et de l'homme.

[1. Dans la création du monde]

31. La Sagesse éternelle a commencé à éclater hors du sein de
Dieu, lorsqu'après une éternité entière, elle fait la lumière,
le ciel et la terre. Saint Jean dit que tout a été fait par le
Verbe, c'est-à-dire la Sagesse éternelle: Omnia per ipsum
facta sunt. [Jn 1,3]
Salomon dit qu'elle est la mère et l'ouvrière de toutes
choses: Horum omnium mater est. Omnium artifex Sapientia.
Remarquez qu'il ne l'appelle pas seulement l'ouvrière de
l'univers, mais la mère, parce que l'ouvrier n'aime pas et
n'entretient pas son ouvrage comme une mère fait son enfant.

32. La Sagesse éternelle, ayant tout créé, demeure en toutes
choses pour les contenir, soutenir et renouveler: omnia
continet, omnia innovat. C'est cette beauté souverainement
droite qui, après avoir créé le monde, y a mis le bel ordre
qui y est. Elle a séparé, elle a composé, elle a pesé, elle a
ajouté, elle a compté tout ce qui y est.
Elle a étendu les cieux; elle a placé le soleil, la lune
et les étoiles et les planètes avec ordre; elle a posé les
fondements de la terre; elle a donné desbornes et des lois à
la mer et aux abîmes; elle a formé les montagnes; elle a tout
pesé et balancé jusqu'aux fontaines. Enfin, dit-elle, j'étais
avec Dieu, et je réglais toutes choses avec une justesse si
parfaite tout à la fois et une variété si agréable, que
c'était une espèce de jeu que je jouais pour me divertir et
divertir mon Père: Cum eo eram cuncta componens; et delectabar
per singulos dies, ludens coram eo omni tempore, ludens in
orbe terrarum. [Sg 1,7]

33. Ce jeu ineffable de la divine Sagesse se voit, en effet,
dans les différentes créatures qu'elle a faites dans
l'univers. Car, sans parler des différentes espèces d'anges,
qui sont, pour ainsi dire, infinis en nombre; sans parler des
différentes grandeurs des étoiles, ni des différents
tempéraments des hommes, quel admirable changement ne voyons-
nous pas dans les saisons et dans les temps, quelle variété
d'instincts dans les animaux, quelles différentes espèces dans
les plantes, quelles différentes beautés dans les fleurs,
quels différents goûts dans les fruits! Quis sapiens, et
intelliget haec: Qui est celui à qui la Sagesse s'est
communiquée? Et celui-là seul aura l'intelligence de ces
mystères de la nature.

34. La Sagesse les a révélés aux saints, comme nous voyons
dans leurs vies; et ils ont été quelquefois si surpris de voir
la beauté, la douceur et l'ordre de la divine Sagesse dans les
plus petites choses, comme une abeille, une fourmi, un épi de
blé, une fleur, un petit ver de terre, qu'ils en tombaient
dans l'extase et le ravissement.

[2. Dans la création de l'homme]

35. Si la puissance et la douceur de la Sagesse éternelle a
tant éclaté dans la création, la beauté et l'ordre de
l'univers, elle a brillé bien davantage dans la création de
l'homme, puisque c'est son chef d'oeuvre, l'image vivante de
sa beauté et de ses perfections, le grand vaisseau de ses
grâces, le trésor admirable de ses richesses, et son vicaire
unique sur la terre: Sapientia tua fecisti hominem, ut
dominaretur omni creaturae quae a te facta est. Sap. 9. [Sg
9,2]

36. Il faudrait ici, à la gloire de cette belle et puissante
ouvrière, expliquer la beauté et l'excellence originelle que
l'homme reçut d'elle lorsqu'elle le créa; mais le péché qu'il a
commis, dont les ténèbres et lessouillures ont rejailli
jusque sur moi, misérable enfant d'Eve, m'ont tellement
obscurci l'entendement que je ne puis que très imparfaitement
en parler.

37. Elle fit, pour ainsi dire, des copies et des expressions
brillantes de son entendement, de sa mémoire et de sa volonté
et les donna à l'âme de l'homme pour être le portrait vivant
de la Divinité; elle alluma dans son coeur un incendie de pur
amour pour Dieu, elle lui forma un corps tout lumineux, et
elle renferma en lui, comme en raccourci, toutes les
perfections différentes des anges, des bêtes et autres
créatures.

38. Tout dans l'homme était lumineux sans ténèbres, beau sans
laideur, pur sans souillure, réglé sans désordre et sans
aucune tache ni imperfection. Il avait pour apanage la lumière
de la Sagesse dans son esprit, par laquelle il connaissait
parfaitement son Créateur et ses créatures. Il avait la grâce
de Dieu dans son âme, par laquelle il était innocent et
agréable aux yeux du Très-Haut. Il avait dans son corps
l'immortalité. Il avait le pur amour de Dieu dans son coeur,
sans crainte de la mort, par lequel il l'aimait
continuellement, sans relâche, et purement, pour l'amour de
lui-même. Enfin il était si divin, qu'il était continuellement
hors de lui-même, transporté en Dieu, sans qu'il eût aucune
passion à vaincre ni aucun ennemi à combattre.
O libéralité de la Sagesse éternelle envers l'homme! O
heureux état de l'homme dans son innocence!

39. Mais, malheur des malheurs! Voilà ce vaisseau tout divin
qui se brise en mille morceaux; voilà cette belle étoile qui
tombe; voilà ce beau soleil qui est couvert de boue; voilà
l'homme qui pèche, et qui, en péchant, perd sa sagesse, son
innocence, sa beauté, son immortalité. Et enfin il perd tous
les biens qu'il avait reçus, et est asailli d'une infinité de
maux. Il a l'esprit tout hébété et ténébreux: il ne voit plus
rien. Il a le coeur tout glacé pour Dieu: il ne l'aime plus.
Il a l'âme toute noire de péchés: elle ressemble au démon. Il
a des passions toutes déréglées: il n'en est plus le maître.
Il n'a que la compagnie des démons, il en est devenu la
demeure et l'esclave. Il est attaqué des créatures: elles lui
font la guerre.
Voilà l'homme en un instant devenu l'esclave des démons,
l'objet de la colère de Dieu et lavictime des enfers!
Il se paraît à lui-même si hideux que de honte il va se
cacher. Il est maudit et condamné à la mort; il est chassé du
paradis terrestre et il n'en a plus dans les cieux. Il doit
mener, sans aucune espérance d'être heureux, une vie
malheureuse sur la terre maudite. Il y doit mourir en
criminel, et, après sa mort, être comme le diable, à jamais
damné dans son corps et dans son âme, lui et tous ses enfants.
Tel est le malheur épouvantable où l'homme, en péchant,
tomba; tel est l'arrêt équitable que la justice de Dieu
prononça contre lui.

40. Adam, en cet état, est comme désespéré; il ne peut
recevoir de remède ni des anges ni des autres créatures. Rien
n'est capable de le réparer parce qu'il était trop beau et
trop bien fait en sa création, et qu'il est, par son péché,
trop hideux et trop souillé. Il se voit chassé du paradis et
de la présence de Dieu, il voit la justice de Dieu qui le
poursuit avec toute sa postérité; il voit le ciel fermé et
l'enfer ouvert, et personne pour lui ouvrir l'un et fermer
l'autre.