Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle

 Prière à la Sagesse éternelle

 AVIS QUE LA DIVINE SAGESSE DONNE AUX PRINCES ET AUX GRANDS DU MONDE DANS LE SIXIEME CHAPITRE DU LIVRE DE LA SAGESSE

 REMARQUES DE L'AUTEUR

 CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,

 CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse

 CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde

 CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.

 CHAPITRE VI Les désirs empressés que la divine Sagesse

 CHAPITRE VII L'élection de la vraie Sagesse.

CHAPITRE I
Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,
il est nécessaire de la connaître.

[1. Nécessité de la connaissance de la Divine Sagesse]

8. Peut-on aimer ce qu'on ne connaît pas? Peut-on aimer
ardemment ce qu'on ne connaît qu'imparfaitement?
Pourquoi est-ce qu'on aime si peu la Sagesse éternelle et
incarnée, l'adorable Jésus, sinon parce qu'on ne la connaît
pas, ou très peu?
Il n'y a presque personne qui étudie comme il faut, avec
l'Apôtre, cette science suréminente de Jésus, qui est
cependant la plus noble, la plus douce, la plus utile et la
plus nécessaire de toutes les sciences et connaissances du
ciel et de la terre.

9. [1] C'est premièrement la plus noble de toutes les
sciences, parce qu'elle a pour objet ce qu'il y a de plus
noble et de plus sublime, la Sagesse incréée et incarnée, qui
renferme en soi toute la plénitude de la divinité et de
l'humanité, tout ce qu'il y a de grand au ciel et sur la
terre, toutes les créatures visibles et invisibles,
spirituelles et corporelles.
Saint Jean Chrysostome dit que Notre-Seigneur est un
sommaire des oeuvres de Dieu, un tableau raccourci de toutes
ses perfections et de toutes celles qui sont dans les
créatures.
Omnia quae velle potes aut debes est Dominus Jesus
Christus. Desidera hunc, requiere hunc, quia haec est una et
pretiosa margarita pro qua emenda etiam vendenda sunt omnia
quae tua sunt: Jésus-Christ, la Sagesse éternelle, est tout
ce que vous pouvez et devez désirer. Désirez-le, cherchez-le,
parce qu'il est cette unique et précieuse perle pour l'achat
de laquelle vous ne devez pas faire difficulté de vendre tout
ce que vous avez.
In hoc glorietur qui gloriatur, scire et nosse me.
St. Hironi 9: Que le sage ne se glorifie pas de sa
sagesse, ni le fort de sa force, ni le riche de ses richesses;
mais que celui qui se glorifie tire sa gloire de ce qu'il me
connaît, et non de ce qu'il connaît autre chose.

10. 2. Il n'y a rien de si doux que la connaissance de la
divine Sagesse: Bienheureux ceux quil'écoutent; plus heureux
sont ceux qui la désirent et la recherchent; mais les plus
heureux sont ceux qui gardent ses voies, goûtent en leur coeur
cette douceur infinie qui est la joie et la félicité du Père
éternel et la gloire des anges. [Pr 2,1-9]
Si on savait quel est le plaisir que goûte une âme qui
connaît la beauté de la Sagesse, qui suce le lait de cette
mamelle du Père, mamilla Patris, [on] s'écrierait avec
l'Epouse: "Meliora sunt ubera tua vino: le lait de vos
mamelles est plus doux que le vin délicieux et que toutes les
douceurs des créatures"; particulièrement lorsqu'elle fait
entendre aux âmes qui la contemplent ces paroles: "Gustate et
videte: goûtez et voyez. Comedite... et bibite: mangez et
buvez; et inebriamini, et enivrez-vous de mes douceurs
éternelles; car mon entretien n'a rien de désagréable, ni ma
compagnie d'ennuyeux, mais on n'y trouve que de la
satisfaction et de la joie: non enim habet amaritudinem
conversatio illius; nec taedium convictus illius, sed
laetitiam et gaudium".

11. 3. Cette connaissance de la Sagesse éternelle n'est pas
seulement la plus noble et la plus douce, mais encore la plus
utile et la plus nécessaire, parce que la vie éternelle
consiste à connaître Dieu et son Fils Jésus-Christ.
"Vous connaître, s'écrie le Sage, parlant à la Sagesse,
est la parfaite justice; et comprendre votre équité et votre
puissance est la racine de l'immortalité." Voulons-nous, en
vérité, avoir la vie éternelle, ayons donc la connaissance de
la Sagesse éternelle.
Voulons-nous avoir la perfection de la sainteté en ce
monde, connaissons la Sagesse.
Voulons-nous avoir en notre coeur la racine de
l'immortalité, ayons en notre esprit la connaissance de la
Sagesse: Savoir Jésus-Christ la Sagesse incarnée, c'est assez
savoir; savoir tout et ne le pas savoir, c'est ne rien savoir.

12. Que sert-il à un tireur de flèches de savoir tirer dans
les côtés du blanc où il vise, s'il ne sait pas tirer droit
dedans? De quoi nous serviront toutes les autres sciences
nécessaires au salut si nous ne savons pas celle de Jésus-
Christ, qui est l'unique nécessaire et le centre où toutes
doivent aboutir? Quoique le grand Apôtre sût tant de choses
et qu'il fût si versé dans les lettres humaines, il disait
pourtant qu'il ne croyait savoir que Jésus-Christ crucifié:
Non judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Christum,
et hunc crucifixum, 1 Corint 2. [1 Co 2,2]
Disons donc avec lui: "Quae mihi fuerunt lucra, haec
arbitratus sum propter Christum detrimenta. Verumtamen
[existimo] omnia detrimentum esse, propter eminentem
scientiam Jesu Christi, Domini mei: Je méprise toutes ces
connaissances desquelles j'ai jusques ici fait état, en
comparaison de celle de Jésus -Christ, mon Seigneur." Je vois
maintenant et j'expérimente que cette science est si
excellent, si délicieuse, si profitable et si admirable, que
je ne tiens aucun compte de toutes les autres, qui autrefois
m'avaient tant plu; et elles me semblent à présent si vides et
si ridicules, que c'est perdre son temps que de s'y amuser:
"Haec autem dico ut nemo vos decipiat in sublimitate sermonum.
Videte ne quis vos decipiat per philosophiam et inanem
fallaciam: Je vous dis que Jésus-Christ est l'abîme de toute
la science, afin que vous ne vous laissiez point tromper aux
belles et magnifiques paroles des orateurs ni aux subtilités
si trompeuses des philosophes. Crescite in gratiam et in
cognitione Domini nostri et Salvatoris Jesu Christi." Or,
afin que nous croissions tous dans lagrâce et la connaissance
de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, la Sagesse
incarnée, nous en parlerons dans les chapitres suivants, après
que nous aurons distingué plusieurs sortes de sagesse.

[2. Définition et division du sujet]

13. La sagesse, en général, prise selon la signification de
son nom, est une science savoureuse, sapida scientia, ou le
goût de Dieu et de sa vérité.
Il y a plusieurs sortes de sagesses.
Premièrement, elles se distinguent en véritable et fausse
sagesse: la véritable est le goût de la vérité sans mensonge
ni déguisement; la fausse est le goût du mensonge, couvert de
l'apparence de la vérité.
Cette fausse sagesse est la sagesse ou prudence mondaine
que le Saint-Esprit distingue en trois:
Sapientia terrena, animalis, diabolica: la sagesse
terrestre, animale et diabolique. [Jc 3,15]
La vraie sagesse se distingue en sagesse naturelle et
surnaturelle.
La sagesse naturelle est la connaissance des choses
naturelles d'une manière éminente dans leurs principes. La
sagesse surnaturelle est la connaissance des choses
surnaturelles et divines dans leurorigine.
Cette sagesse surnaturelle se divise en sagesse
substantielle et incréée, et en sagesse accidentelle et créée.
La sagesse accidentelle et créée est la communication que fait
d'elle-même aux hommes la Sagesse incréée, autrement c'est le
don de la sagesse. La Sagesse substantielle et incréée est le
Fils de Dieu, la seconde Personne de la très Sainte-Trinité,
autrement la Sagesse éternelle dans l'éternité, ou Jésus-
Christ dans le temps.
C'est proprement de cette Sagesse éternelle dont nous
allons parler.

14. Dès son origine, nous la contemplerons dans l'éternité,
résidente dans le sein de son Père, comme l'objet de ses
complaisances.
Nous la verrons dans le temps, brillante dans la création
de l'univers.
Nous la regarderons ensuite tout humiliée dans son
incarnation et dans sa vie mortelle, et puis nous la
trouverons glorieuse et triomphante dans les cieux.
Enfin nous verrons quels sont les moyens dont il faut se
servir pour l'acquérir et la conserver.
Je laisse donc aux philosophes les arguments de leur
philosophie comme inutiles; je laisse aux chimistes les
secrets de leur sagesse mondaine.
Sapientiam loquimur inter perfectos: Parlons donc de la
vraie Sagesse, de la Sagesse éternelle, incréée et incarnée,
aux âmes parfaites et prédestinées.