Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle
CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,
CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse
CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde
CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE IV
            
            
Merveilles de la bonté etmiséricorde
            
            
de la Sagesse éternelle avant son incarnation.
         
41. La Sagesse éternelle est vivement touchée du malheur du
            
            
pauvre Adam et de tous ses descendants. Elle voit, avec un
            
            
grand déplaisir, son vaisseau d'honneur brisé, son portrait
            
            
déchiré, son chef-d'oeuvre détruit, son vicaire sur la terre
            
            
renversé.
            
            
Elle prête tendrement l'oreille à sa voix gémissante et à
            
            
ses cris. Elle voit avec compassion les sueurs de son front,
            
            
les larmes de ses yeux, les peines de ses bras, la douleur de
            
            
son coeur et l'affliction de son âme.
            
            
         
[1. Le décret de l'Inacarnation]
42. Il me semble voir cette aimable Souveraine appeler et
            
            
assembler une seconde fois, pour ainsi dire, la Sainte Trinité
            
            
pour réparer l'homme, comme elle avait fait pour le former. Il
            
            
me semble que, dans ce grand conseil, il se fait une espèce de
            
            
combat entre la Sagesse éternelle et la Justice de Dieu.
         
43. Il me semble que j'entends cette Sagesse qui, dans la
            
            
cause de l'homme, dit qu'à la vérité l'homme mérite, par son
            
            
péché, avec sa postérité, d'être à jamais damné avec les anges
            
            
rebelles; mais qu'il faut avoir pitié de lui, parce qu'il a
            
            
plus péché par faiblesse et par ignorance que par malice. Elle
            
            
représente, d'un côté, que c'est un grand dommage qu'un chef-
            
            
d'oeuvre si accompli demeure pour jamais l'esclave de son
            
            
ennemi, et que des millions de millions d'hommes soient à
            
            
jamais perdus par le péché d'un seul. Elle montre, de l'autre,
            
            
les places du ciel vacantes par la chute des anges apostats,
            
            
qu'il est à propos de remplir, et la grande gloire que Dieu
            
            
recevra dans le temps et l'éternité si l'homme est sauvé.
         
44. Il me semble que j'entends la Justice qui répond que
            
            
l'arrêt de mort et de damnation éternelle est porté contre
            
            
l'homme et ses descendants, et qu'il doit être exécuté sans
            
            
remise et sans miséricorde, ainsi que contre Lucifer et ses
            
            
adhérents; que l'homme est un ingrat pour les bienfaits qu'il
            
            
a reçus; qu'il a suivi le démon en sa désobéissance et en son
            
            
orgueil, et qu'il le doit suivre dans ses châtiments, parce
            
            
qu'il faut nécessairement que le péché soit puni.
         
45. La Sagesse éternelle, voyant qu'il n'y avait rien dans
            
            
l'univers qui fût capable d'expier le péché de l'homme, de
            
            
payer la justice et d'apaiser la colèrede Dieu, et voulant
            
            
cependant sauver le pauvre homme qu'elle aimait d'inclination,
            
            
trouve un moyen admirable.
            
            
Chose étonnante, amour incompréhensible qui va jusqu'à
            
            
l'excès, cette aimable et souveraine Princesse s'offre elle-
            
            
mêne en sacrifice à son Père pour payer sa justice, pour
            
            
calmer sa colère et pour nous retirer de l'esclavage du démon
            
            
et des flammes de l'enfer et nous mériter une éternité de
            
            
bonheur.
         
46. Son offre est acceptée; le conseil en est pris et arrêté:
            
            
la Sagesse éternelle, ou le Fils de Dieu, se fera homme dans
            
            
le temps convenable et dans les circonstances marquées.
            
            
Pendant environ quatre mille ans qui se sont écoulés depuis la
            
            
création du monde et le péché d'Adam jusqu'à l'incarnation de
            
            
la divine Sagesse, Adam et ses descendants sont morts selon la
            
            
loi de Dieu portée [contre eux]; mais, en vue de l'incarnation
            
            
du Fils de Dieu, ils ont reçu des grâces pour obéir à ses
            
            
commandements et pour faire une digne pénitence après les
            
            
avoir transgressés; et, s'ils sont morts dans la grâce et
            
            
l'amitié de Dieu, leurs âmes sont descendues aux limbes en
            
            
attendant leur Sauveur et Libérateur pour leur ouvrir la porte
            
            
du ciel.
         
47. La Sagesse éternelle, pendant tout le temps qui s'est
            
            
passé avant son incarnation, a témoigné aux hommes, en mille
            
            
manières, l'amitié qu'elle leur portait, et le grand désir
            
            
qu'elle avait de leur communiquer ses faveurs et de
            
            
s'entretenir avec eux: "Mes délices, a-t-elle dit, sont d'être
            
            
avec les enfants des hommes. Deliciae meae esse cum filiis
            
            
hominum." [Pr 8,31] Elle a tourné elle-même de tous côtés
            
            
pour chercher ceux qui étaient dignes d'elle: quoniam dignos
            
            
seipsa circuit quaerens, c'est-à-dire des personnes dignes de
            
            
son amitié, dignes de ses trésors, dignes de sa propre
            
            
personne. Elle s'est répandue parmi les nations différentes,
            
            
dans les âmes saintes, pour y former des amis de Dieu et des
            
            
prophètes; et c'est elle seule qui a formé tous les saints
            
            
patriarches, les amis de Dieu, les prophètes et les saints de
            
            
l'Ancien et du Nouveau Testament: Et per nationes in animas
            
            
sanctas se transfert, amicos Dei et prophetas constituit. Sap.
            
            
7.
            
            
C'est cette Sagesse éternelle qui a inspiré les hommes de
            
            
Dieu, et qui a parlé par la bouche des prophètes, et elle les
            
            
a dirigés dans leurs voies, éclairés dans leurs doutes,
            
            
soutenus dans leurs faiblesses et délivrés de tous maux.
         
48. Voici comme le Saint-Esprit l'a raconté lui-même, dans le
            
            
10 chapitre de la Sagesse en ces termes:
            
            
[1] "C'est la Sagesse qui conserva celui que Dieu avait
            
            
formé le premier pour être le père des hommes, ayant d'abord
            
            
été créé seul, c'est-à-dire Adam.
            
            
[2] C'est elle aussi qui le tira de son péché, et qui lui
            
            
donna la force de renfermer et de gouverner toutes choses.
            
            
[3] Lorsque l'injuste, Caïn, se sépara d'elle dans sa
            
            
colère, il périt malheureusement par la fureur, que le rendit
            
            
le meurtrier de son frère.
            
            
4. Et lorsque le déluge inonda la terre à cause de lui,
            
            
la Sagesse sauva encore le monde, ayant gouverné le juste,
            
            
Noé, par un bois qui paraissait méprisable.
            
            
5. Et lorsque les nations conspirèrent ensemble pour
            
            
s'abandonner au mal, c'est elle qui connut le juste, Abraham,
            
            
qui le conserva irrépréhensible devant Dieu et qui lui donna
            
            
la force de vaincre la tendresse qu'il ressentait pour [son
            
            
fils Isaac].
            
            
6. C'est elle qui délivra le juste, Loth, lorsqu'il
            
            
fuyait du milieu des méchants qui périrent par le feu tombé
            
            
sur les cinq villes.
            
            
7. Dont la corruption est marqué par cette terre qui en
            
            
fume encore, et qui est demeurée toute déserte, où les arbres
            
            
portent des fruits qui ne mûrissent point et où l'on voit une
            
            
statue de sel qui est le monument d'une âme incrédule.
            
            
8. Car ceux qui ne se sont pas mis en peine d'acquérir la
            
            
sagesse non seulement sont tombés dans l'ignorance du bien,
            
            
mais ils ont encore laissé aux hommes des marques de leurs
            
            
folies sans que leurs fautes aient pu demeurer cachées.
         
49. 9. Mais la Sagesse a délivré de tous maux ceux qui ont eu
            
            
soin de la révérer.
            
            
10. C'est elle qui a conduit par des voies droites le
            
            
juste, Jacob, lorsqu'il fuyait la colère d'Esaü, son frère;
            
            
qui lui a fait voir le royaume de Dieu, qui lui a donné la
            
            
science des saints; qui l'a enrichi dans ses travaux et qui
            
            
lui en a fait recueillir le fruit.
            
            
11. C'est elle qui l'a aidé contre ceux qui voulaient le
            
            
surprendre par leurs tromperies et qui l'a fait devenir riche.
            
            
12. Elle l'a protégé contre ses ennemis, elle l'a défendu
            
            
des séducteurs et elle l'a engagé dans un rude combat, afin
            
            
qu'il demeurât victorieux, et qu'il sût que la Sagesse est
            
            
plus puissante que toute chose.
            
            
13. C'est elle qui n'a point abandonné Joseph le juste
            
            
losrqu'il fut vendu; mais elle l'a délivré des mains des
            
            
pécheurs; elle est descendue avec luidans la fosse.
            
            
14. Et elle ne l'a point quitté dans ses chaînes, jusqu'à
            
            
ce qu'elle lui ait mis entre les mains le sceptre royal, et
            
            
qu'elle l'a[it] rendu le maître de ceux qui l'avaient traité
            
            
si injustement. Elle a convaincu de mensonge ceux qui
            
            
l'avaient déshonoré et elle lui a donne un nom éternel.
            
            
15. C'est elle qui a délivré le peuple juste, les
            
            
Hébreux, et la race irrépréhensible de la nation qui
            
            
l'opprimait.
            
            
16. Elle est entrée dans l'âme du serviteur de Dieu,
            
            
Moïse, et elle s'est élevée avec des signes et des prodiges
            
            
contre les rois redoutables.
            
            
17. Elle a rendu aux justes la récompense de leurs
            
            
travaux, elle les a conduits par une admirable voie, et elle
            
            
leur a servi d'un couvert pendant le jour et de la lumière
            
            
pendant la nuit.
            
            
18. Elle les a conduits par la mer Rouge et elle les a
            
            
fait passer au travers des eaux profondes.
            
            
19. Elle a enseveli leurs ennemis dans la mer et elle a
            
            
retiré les siens du fond de l'abîme. Ainsi les justes ont
            
            
remporté les dépouilles des méchants.
            
            
20. Ils ont honoré par leurs cantiques, ô Seigneur, votre
            
            
saint nom, et ils ont loué tous ensemble votre main
            
            
victorieuse.
            
            
21. Parce que la Sagesse a ouvert la bouche des muets et
            
            
qu'elle a rendu éloquentes les langues des enfants."
         
50. Dans le chapitre suivant de la Sagesse, le Saint-Esprit
            
            
marque les différents maux dont la Sagesse a délivré Moïse et
            
            
les Israélites, pendant qu'ils étaient dans les déserts. A
            
            
quoi l'on peut ajouter que tous ceux qui ont été délivrés des
            
            
grands dangers, dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament,
            
            
comme Daniel dans la fosse aux lions, Suzanne du crime faux
            
            
dont on l'accusait, les trois enfants de la fournaise de
            
            
Babylone..., saint Pierre de la prison, saint Jean de la
            
            
chaudière d'huile bouillante, et une infinité de martyrs et de
            
            
confesseurs des tourments qu'on faisait souffrir à leurs corps
            
            
et des calomnies dont on noircissait leur réputation, on peut
            
            
ajouter, dis-je, qu'ils ont tous été délivrés et guéris par la
            
            
Sagesse éternelle: Nam per Sapientiam sanati sunt quicumque
            
            
placuerit tibi, Domine, a principio. [Sg 9,19]
         
[Conclusion]
51. Ecrions-nous donc: "Heureux mille fois une âme dans qui
            
            
la Sagesse est entrée pour y faire sa demeure! Quelques
            
            
combats qu'on lui livre, elle demeurera victorieuse; de
            
            
quelques dangers qu'elle soit menacée, elle en sera délivrée;
            
            
de quelques tristesses qu'elle soit accablée, elle sera
            
            
réjouie et consolée; et en quelques humiliations qu'elle soit
            
            
tombée, elle en sera relevée et glorifiée dans le temps et
            
            
dans l'éternité."