Saint Louis-Marie Grignion de Monfort L' Amour de la Sagesse Eternelle
CHAPITRE I Pour aimer et rechercher la divine Sagesse,
CHAPITRE II L'origine et l'excellence de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE III Merveilles de la puissance de la divine Sagesse
CHAPITRE IV Merveilles de la bonté etmiséricorde
CHAPITRE V L'excellence merveilleuse de la Sagesse éternelle.
CHAPITRE VI
            
            
Les désirs empressés que la divine Sagesse
            
            
a de se donner aux hommes.
         
64. Il y a une si grande liaison d'amitié entre la Sagesse
            
            
éternelle et l'homme, qu'elle est incompréhensible. La Sagesse
            
            
est pour l'homme, et l'homme pour la Sagesse. Thesaurus
            
            
infinitus hominibus: c'est un trésor infini pour les hommes,
            
            
et non pour les anges ou pour les autres créatures.
            
            
Cette amitié de la Sagesse pour l'homme vient de ce qu'il
            
            
est, dans sa création, l'abrégé de ses merveilles, son petit
            
            
et son grand monde, son image vivante et son lieutenant sur la
            
            
terre. Et, depuis que, par l'excès de l'amour qu'elle lui
            
            
portait, elle s'est rendue semblable à lui en se faisant
            
            
homme, et s'est livrée à la mort pour le sauver, elle l'aime
            
            
comme son frère, son ami, son disciple, son élève, le prix de
            
            
son sang et le cohéritier de son royaume, en sorte qu'on lui
            
            
fait une violence infinie lorsqu'on lui refuse ou on lui
            
            
arrache le coeur d'un homme.
         
[1. La lettre d'amour de la Sagesse éternelle]
65. Cette beauté éternelle et souverainement aimable a tant
            
            
de désir de l'amitié des hommes, qu'elle a fait un livre
            
            
exprès pour la gagner, en lui découvrant ses excellences et
            
            
les désirs qu'elle a de lui. Ce livre est comme une lettre
            
            
d'une amante à son amant, pour gagner son affection. Les
            
            
désirs qu'elle y témoigne du coeur de l'homme sont si
            
            
empressés, les rechereches qu'elle y fait de son amitié sont
            
            
si tendres, les appels et ses voeux y sont si amoureux, qu'à
            
            
l'entendre parler vous diriez qu'elle n'est pas la Souveraine
            
            
du ciel et de la terre et qu'elle a besoin de l'homme pour
            
            
être heureuse.
         
66. Tantôt pour trouver l'homme, elle court dans les grands
            
            
chemins; tantôt elle monte sur la pointe des plus hautes
            
            
montagnes; tantôt elle vient aux portes des villes; tantôt
            
            
elle entre jusques dans les places publiques, au milieu des
            
            
assemblées, criant le plus haut qu'elle peut: "O viri, ad vos
            
            
clamito, et vox mea ad filios hominum: O hommes! ô enfants des
            
            
hommes! c'est à vous que je crie depuis si longtemps; c'est à
            
            
vous que ma voix s'adresse; c'est vous que je désire; c'est
            
            
vous que je cherche; c'est vous que je réclame. Ecoutez, venez
            
            
à moi; je veux vous rendre heureux."
            
            
Et, pour les attirer puissamment, elle leur dit: "C'est
            
            
par moi et par ma grâce que les rois règnent, que les princes
            
            
commandent, et que les potentats et les monarques portent le
            
            
sceptre et la couronne. C'est moi qui inspire aux
            
            
législateurs la science de dresser de bonnes lois pour policer
            
            
les Etats, et qui donne la force aux magistrats d'exercer
            
            
équitablement et sans crainte la justice.
         
67. J'aime ceux qui m'aiment, et quiconque me cherche
            
            
diligemment me trouvera, et, me trouvant, trouvera abondance
            
            
de tous biens. Car les richesses, la gloire, les honneurs, les
            
            
dignités, les solides plaisirs et les vraies vertus sont avec
            
            
moi; et il est imcomparablement meilleur à un homme de me
            
            
posséder que de posséder tout l'or et tout l'argent du monde,
            
            
toutes les pierreries et tous les biensde tout l'univers. Je
            
            
conduis les personnes qui viennent à moi par les voies de la
            
            
justice et de la prudence, et je les enrichis de la possession
            
            
des vrais enfants, jusqu'au comble de leurs désirs. Et soyez
            
            
persuadés que mes plus doux plaisirs et mes plus chères
            
            
délices sont de converser et de demeurer avec les enfants des
            
            
hommes. [cf. Pr 8,31]
         
68. Maintenant donc, mes enfants, écoutez-moi. Bienheureux
            
            
ceux qui gardent mes voies. Ecoutez mes instructions, soyez
            
            
sages et ne les rejetez point. Heureux celui qui m'écoute,
            
            
qui veille tous les jours à l'entrée de ma maison et qui se
            
            
tient à ma porte.
            
            
Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie; et il puisera
            
            
le salut de la bonté du Seigneur. Mais celui qui péchera
            
            
contre moi blessera son âme. Tous ceux qui me haïssent aiment
            
            
la mort. [Pr 8,32-36: traduction de SACY]
         
69. Après tout ce qu'elle a dit de plus tendre et de plus
            
            
engageant pour s'attirer l'amitié des hommes, elle craint
            
            
encore qu'à cause de son éclat merveilleux et de sa majesté
            
            
souveraine ils n'osent, par respect, s'approcher d'elle.
            
            
C'est pourquoi elle leur fait dire qu'elle est d'un accès
            
            
facile; qu'elle se laisse aisément voir àceux qui l'aiment;
            
            
qu'elle prévient ceux qui la désirent; qu'elle se montre à eux
            
            
la première, et que celui qui se lèverea du matin pour la
            
            
chercher n'aura pas beaucoup de peine pour la trouver; car il
            
            
la trouvera assise à sa porte pour l'attendre. [Sg 6,13b-15]
         
[2. L'Incarnation, la mort et l'Eucharistie]
70. Enfin la Sagesse éternelle, pour s'approcher de plus près
            
            
des hommes et leur témoigner plus sensiblement son amour, est
            
            
allée jusqu'à se faire homme, jusqu'à devenir enfant, jusqu'à
            
            
devenir pauvre et jusqu'à mourir pour eux sur la croix.
            
            
Combien de fois s'est-elle écriée, lorsqu'elle vivait sur
            
            
la terre: "Venez à moi, venez tous à moi; c'est moi, ne
            
            
craignez rien; pourquoi craignez-vous? Je suis semblable à
            
            
vous; je vous aime. Est-ce parce que vous êtes pécheurs? Eh!
            
            
c'est eux que je cherche; je suis l'amie des pécheurs. Est-ce
            
            
parce que vous vous êtes égarés du bercail par votre faute?
            
            
Eh! je suis le Bon Pasteur. Est-ce parce que êtes chargés de
            
            
péchés, couverts d'ordures, accablés de tristesse? Eh! c'est
            
            
justement pourquoi vous devez venir à moi; car je vous
            
            
déchargerai, je vous purifierai, je vous consolerai."
         
71. Voulant d'un côté montrer son amour pour l'homme jusqu'à
            
            
mourir en sa place afin de le sauver, et ne pouvant de l'autre
            
            
se résoudre à quitter l'homme, elle trouve un secret admirable
            
            
pour mourir et pour vivre tout à la fois, et demeurer avec
            
            
l'homme jusqu'à la fin des siècles: c'est l'invention
            
            
amoureuse de l'Eucharistie; et pour venir à bout de contenter
            
            
son amour en ce mystère, elle ne fait point de difficulté de
            
            
changer et renverser toute la nature.
            
            
Si elle ne se cache pas sous [l']éclat d'un diamant ou
            
            
autre pierre précieuse, c'est qu'elle ne veut pas seulement
            
            
demeurer extérieurement avec l'homme: mais elle se cache sous
            
            
l'apparence d'un petit morceau de pain, qui est la nourriture
            
            
propre de l'homme, afin que, étant mangée de l'homme, elle
            
            
entrât jusqu'en son coeur pour y prendre ses délices: Ardenter
            
            
amantium hoc est.
            
            
"O Deum vere prodigum sui prae desiderio hominis! O
            
            
Sagesse éternelle, dit un saint, ô Dieu vraiment prodigue de
            
            
lui-même par le désir qu'il a de l'homme."
         
[3. Ingratitude de ceux qui refusent]
72. Si nous ne sommes pas touchés des désirs empressés, des
            
            
recherches amoureuses et des témoignages d'amitié de cette
            
            
aimable Sagesse, quelle est notre dureté et notre ingratitude?
            
            
Mais si, au lieu de l'écouter, nous lui fermons
            
            
l'oreille; si, au lieu de la chercher, nous la fuyons; si, au
            
            
lieu de l'honorer, de l'aimer, nous la méprisons et
            
            
l'offensons, quelle est notre cruauté, et quel sera notre
            
            
châtimenet, même dès ce monde! "Ceux, dit le Saint-Esprit,
            
            
qui ne se sont pas mis en peine d'acquérir la Sagesse non
            
            
seulement sont tombés dans l'ignorance du bien mais ils ont
            
            
encore laissé aux hommes des marques de leur folie, sans que
            
            
leurs fautes aient pu demeurer cachées: Sapientiam enim
            
            
praetereuntes, non tantum in hoc lapsi sunt ut ignorarent
            
            
bona, sed et insipientiae suae reliquierunt hominibus
            
            
memoriam, ut in his quae peccaverunt, nec latere potuissent."
            
            
Sap 10. [Sg 10,8]
            
            
Trois malheurs, pendant la vie, à ceux qui ne se mettent
            
            
pas en peine d'acquérir la Sagesse; ils tombent 1 dans
            
            
l'ignorance et l'aveuglement; 2 dans la folie; 3 dans le
            
            
scandale et le péché.
            
            
Mais quel est leur malheur à la mort, lorsque, malgré eux
            
            
ils entendent la Sagesse leur reprocher: "Vocavi, et
            
            
renuistis. Je vous ai appelés, et vous ne m'avez pas répondu;
            
            
je vous ai tendu les bras tout le jour, etvous m'avez
            
            
méprisée; je vous ai attendus, assise à votre porte, et vous
            
            
n'êtes point venus à moi. Ego quoque in interitu vestro ridebo
            
            
et subsannabo vos: Et moi à mon tour je me moque de vous; je
            
            
n'ai plus ni oreilles pour écouter vos cris, ni yeux pour
            
            
regarder vos larmes, ni coeur pour être touchée de vos
            
            
sanglots, ni mains pour vous donner du secours."
            
            
Mais quel sera leur malheur en enfer! Lisez ce que le
            
            
Saint-Esprit lui-même a dit des malheurs, des plaintes, des
            
            
regrets et du désespoir des fols, en enfer, qui reconnaissent
            
            
trop tard leur folie et leur malheur pour avoir méprisé la
            
            
Sagesse de Dieu. Talia dixerunt in inferno. Sap 5.14: Ils
            
            
commencent à parler sagement, mais c'est en enfer.
         
[4. Conclusion]
73. Désirons donc et recherchons uniquement la divine
            
            
Sagesse. Cuncta quae desiderantur, huic et non valent
            
            
comparari; et en un autre endroit: Omne desiderabile ei non
            
            
potest comparari, Pr. 8: On ne peut rien désirer de plus que
            
            
la Sagesse. ASE 73 Ainsi, quelques dons de Dieu, quelques
            
            
trésors célestes que vous désiriez, si vous ne désirez pas la
            
            
Sagesse, vous désirez quelque chose de moindre qu'elle.
            
            
Ah! si nous connaissions ce que c'est que ce trésor
            
            
infini de la Sagesse fait pour l'homme, - car j'avoue que je
            
            
n'en ai rien dit, - nous souspirerions jour et nuit après
            
            
elle: nous volerions avec vitesse aux extrémités du monde, et
            
            
nous passerions avec joie au travers des feux et des rasoirs,
            
            
s'il était nécessaire, pour la mériter.
            
            
Mais il faut prendre garde de se tromper dans le choix de
            
            
la Sagesse, car il y en a de plusieurs sortes.