Prooemium Ex capite quarto citati operis excerptum, notionesque praevias gallico sermone concinnatas exhibens.

0441B

Exploratis anterioribus de successione Romanorum pontificum monumentis, catalogum de quo agitur illustrandum in hunc modum aggrediuntur doctissimi auctores.

Jusqu'ici nous n'avons pu consulter les archives de l'Église Romaine elle-même sur la succession des pontifes. Les ravages des persécutions et plus encore l'injure des temps nous ont privés de tous les documents antérieurs au quatrième siècle, mais non sans un dessein profond de la divine Providence. Il était beau que la première page des annales du Siége Apostolique, manquant en ses propres archives, se 0441C retrouvât dans les traditions de toutes les Églises, et qu'avant même que Rome chrétienne eût trouvé le loisir de rédiger ses chroniques domestiques, les histoires ecclésiastiques rendissent témoignage de sa haute action durant trois siècles sur les églises.

La paix donnée au Christianisme par Constantin, entre autres avantages, apporta celui d'une stabilité tranquille à l'aide de laquelle il devint possible de dresser des mémoires et de recueillir mille traditions dont la persécution de Dioclétien avait fait périr les titres, ou qui du moins, faute d'être enregistrées dans les chroniques plus générales, couraient risque de disparaître avec les monuments isolés sur lesquels elles reposaient. L'existence des chrétiens n'était plus furtive et précipitée; ils habitaient désormais en 0441D repos un monde que jusqu'alors ils n'avaient fait que traverser en toute hâte: l'Église avait une place, et la première, dans les annales de l'humanité. Ce fut 0442B l'idée qu'Eusèbe voulut rendre dans sa Chronique où il groupe autour de l'histoire sacrée et ecclésiastique les ères, les olympiades, les royaumes, les dynasties, en sorte que c'est merveille de voir tous les fastes de la terre s'épuiser les uns après les autres, tandis que l'Église judaïque, puis l'Église chrétienne, traversent majestueusement les âges.

De toutes parts on se livrait à la recherche des origines et des antiquités, et, comme nous l'avons vu précédemment, l'Occident voulut avoir sa version latine de la Chronique d'Eusèbe, en attendant qu'il pût lui-même explorer en grand la science des temps. Une raison qui portait non moins puissamment les chrétiens en ce genre de travaux était la supputation de la fête de Pàques, question du plus haut intérêt 0442C religieux dans tous les temps, mais surtout alors où elle avait été l'objet de vives controverses, et qui nécessitait pour sa solution de profondes investigations dans la chronologie aussi bien que de doctes observations astronomiques. C'est ainsi que, dès le siècle précédent, Saint Hippolyte, en composant son Cycle Pascal, avait été conduit à consigner ses recherches dans une véritable Chronique. Tout se réunissait donc à cette époque pour engager les chrétiens à recueillir leurs monuments primitifs; c'est aussi celle où fut dressée la Chronique qui fait le sujet de ce chapitre.

En 1634, le P. Gilles Boucher, savant Jésuite, publia à Anvers un célèbre commentaire sur le Cycle Pascal de Victorius d'Aquitaine , et parmi 0442D les monuments qu'il inséra dans cet ouvrage, on remarque surtout cinq opuscules chronologiques du plus haut intérêt, et que l'auteur attestait avoir extraits 0443A d'un même manuscrit. Le premier était une suite de Fastes Consulaires depuis Antonin secundo, et Géta, jusqu'à Constance Auguste septimo et Constance César tertio. Le second était une liste des Préfets de Rome depuis Lollianus, en charge sous ie consulat de Valérien secundo et Gallien, jusqu'à Vitrasius Orfitus sous celui des deux Constance cidessus nommés; ce qui revient à l'an 354. Le troisième, un ancien Calendrier Ecclésiastique contenant la fête et le jour mortuaire de plusieurs saints martyrs et évêques de Rome dont le dernier est le Pape saint Jules, mort l'an 352. Le quatrième est la Chronique des Papes qui fait le sujet de ce chapitre, laquelle va jusqu'à Libère, dont elle annonce l'avénement sous les consuls Constance quinto et Constance 0443B César, sans marquer sa mort, arrivée l'an 366, parce que sans doute il vivait encore. Le cinquième enfin est un ancien Calendrier civil qui marque les naissances des principaux Césars, et s'arrête à Constance, qui s'y trouve qualifié non Divus comme les autres, mais Dominus, comme vivant encore au moment où fut dressé ce calendrier. On sait que Constance mourut en 361. Ainsi donc, ces cinq monuments ont dû être écrits dans l'espace d'environ dix ans, savoir, de l'an 354 à l'an 364. Il est clair qu'ils se prêtent un mutuel appui, et que, si on ne peut déterminer l'auteur qui les a composés, il faut du moins reconnaître, avec le P. Boucher et l'universalité des doctes, que leur époque est incontestablement fixée au milieu du quatrième siècle.

0443C De ces cinq monuments, le quatrième est le seul qui doive nous occuper spécialement. Il contient les noms des Papes depuis saint Pierre jusqu'à Libère, avec leurs années distinguées par les consuls et quelques autres particularités dont nous discuterons plus tard l'authenticité. En un mot, ce monument est d'une importance véritablement grave, et mérite toute notre attention; car, de l'aveu de Pearson, «si l'on peut trouver quelque certitude de ces temps chez les chronologistes latins, c'est dans cet ancien catalogue qu'il la faut aller chercher» .

Toutefois avant d'examiner quel degré de confiance nous devons donner à cette fameuse chronique que nous appellerons désormais le Catalogue de Libère, par la raison qu'elle s'arrête aà ce Pape, nous 0443D consacrerons quelques pages à faire l'histoire de sa découverte et de sa publication.

Ce monument précieux, qui était demeuré manuscrit jusqu'en 1634, que le P. Boucher le publia pour la première fois, avait déjà avant cette époque attiré 0444A l'pattention des savants qui s'étaient trouvés à portée de le consulter. Le premier que l'on trouve en avoir fait usage est Spiesshammer, plus connu dans le monde de la science sous le nom de Cuspinien. Dans son commentaire sur la Chronique de Cassiodore, il s'en servit à cause des fastes consulaires qu'il renferme, et l'inséra presque en entier, mais par parties, dans son commentaire à mesure qu'il en avait besoin. Il le qualifie d'opuscule très-ancien , et parle en divers endroits des quatre autres qui lui étaient joints, et qu'a publiés pareillement le P. Boucher. Le manuscrit de Cuspinien, qui semble avoir été l'original des diverses copies dont nous parlerons, aurait, à ee qu'il paraît, été primitivement entre les mains d'un conseiller privé du roi catholique que le P. Boucher 0444B nomine en latin Assonvillius, lequel l'avait recu de Jean Brenner, secrétaire du même prince, et membre du sénat de Luxembourg . Quoi qu'il en solt, ce manuscrit original n'existe plus depuis longtemps .

Henschenius a prétendu qu'Onuphre Panvini avait eu aussi entre les mains le catalogue de Libère lorsqu'il travaillait à Rome sur les Fastes consulaires, vers le milieu du seizième siècle; Pagi a cru la même chose, ainsi qu'il s'en explique dans sa Critique de Baronius , mais ils se sont trompés l'un et l'autre. Emmanuel de Schelstrate atteste dans son grand ouvrage sur l'Antiquité Ecclésiastique avoir trouvé dans la Bibliothèque Vaticane à laquelle il se trouvait préposé vers la fin du dix-septième siècle, un index des livres et manuscrits dont s'était servi 0444C Panvini dans son travail sur les fastes consulaires, et il déclare qu'il n'y est fait mention d'autre catalogue des Papes que du Liber pontificalis .

Voici maintenant quelque chose de plus certain. Vers l'an 1620, Nicolas Fabry de Peiresc, conseiller au parlement d'Aix, homme d'une véritable érudition, reçut d'un magistrat d'Arras la communication d'un manuscrit précieux sur lequel se trouvait le catalogue de Libère, avec les quatre autres opuscules, monuments dont Peiresc vante l'importauce dans une lettre que Pagi a inserée en substance à l'endroit de sa Critique que nous avons déjà cité. Peiresc qui, d'après l'intention expresse de son correspondant d'Arras, devait seulement prendre copie du manuscrit et le renvoyer ensuite, remplit fidèlement 0444D cette double condition, mais il ne fit point jouir le public du fruit de cette découverte.

Pagi parle encore de deux autres copies du catalogue de Libère qui auraient existé manuscrites à Paris, dans le courant du dix-septième siècle: l'une 0445A à la bibliothèque des Chanoines Réguliers de Saint-Victor, inscrite au catalogue sous ce titre: Chronica Damasi; mais elle avait disparu depuis, sans qu'on sût ce qu'elle était devenue; l'autre, dans la bibliothèque des Jésuites du collége Louis-le-Grand, òu elle avait été déposée par le P. Sirmond. Elle était d'ailleurs conforme en tout à celle publiée par les Bollandistes, suivant l'attestation qu'en fit le P. Hardouin lui-même au P. Pagi.

Le P. Boucher est donc le premier qui, non content de se servir du précieux monument qui nous occupe, ait songé à admettre le public dans sa confidence, en publiant à part et en entier le fameux cataloge dont Cuspinien n'avait inséré que des lambeaux détachés dans l'ouvrage que nous avons cité. 0445B En octobre 1632, étant venu de Liége à Anvers pour traiter avec la maison Plantin de l'impression de son traitée de Doctrina temporum, il se trouva naturellement en rapport avec le P. Bollandus. Celui-ci, dans l'intention d'aider son confrère dans l'explication du cycle de Victorius, qui faisait l'objet de cette publication, lui communiqua une copie prise autrefois par le P. Rosweid sur le manuscrit que Cuspinien avait eu entre les mains, et cette copie renfermait précisément les cinq opuscules chronologiques qui nous occupent . L'original était dès lors égaré; mais le P. Boucher n'en crut pas moins devoir donner en entier, dans son travail sur Victorius, ces diverses pièces, et ce fut par lui que le monde savant en entra véritablement en possession.

0445C En 1675, on vit paraître à Anvers une nouvelle édition, du catalogue de Libère, par les soins du P. Henschenius, en tête du premier tome d'avril des Acta Sanctorum. On remarqua dans cette nouvelle édition qui fut répétée de mot à mot par le P. Papebrock, dans son Conatus chronologico-historicus ad catalogum Pontificum Romanorum, quelques variantes assez graves avec le texte publié par le P. Boucher. Pagi semble vouloir les attribuer à des corrections qu'Henschenius se serait permis de faire à la lecon du manuscrit; mais cette conjecture paraît perdre beaucoup de son importance, s'il est démontré que le P. Boucher aurait établi son texte non-seulement d'après le manuscrit des Bollandistes, mais aussi d'après un autre qui se conserve à la bibliothèque 0445D impériale de Vienne. Dans ce cas, Henschenius et Papebrock publiant leur manuscrit d'Anvers avec exactitude, devaient par cela même présenter dans leur lecon quelques différences avec celle qui aurait été dressée sur deux manuscrits au lieu d'un.

Quant au manuscrit du catalogue de Libère conservé à la bibliothèque de Vienne, entre les mss. latins, nº 56, il a été publié par Schelstrate dans son 0446A Antiquitas illustrata, et l'on ne saurait manquer d'être frappeé de l'indentité qui règne entre son texte et celui du P. Boucher. Ils ont aussi cela de commun qu'ils suppléent de la même manière à plusieurs lacunes qui se rencontrent dans l'édition d'Henschenius. Il est donc impossible que le P. Boucher, dont les relations scientifiques étaient très-étendues, n'ait pas eu communication du manuscrit de Vienne: autrement, comment ses divergences avec celui d'Anvers se retrouveraient-elles reproduire les propres paroles du premier? Lambecius avait prétendu que le manuscrit de Vienne était le plus ancien de tous, et que celui dont Cuspinien s'était servi n'en était qu'une copie . Schelstrate, aidé du P. Conrad Janning, l'un des Bollandistes, a renversé l'assertion de l'illustre 0446B bibliographe. Ces deux savants ont prouvé que le manuscrit de Vienne n'avait pas en 1688 plus de trois ou quatre centsans, et qu'il était, aussi bien que celui d'Anvers, une copie d'un original plus ancien . Maintenant ce manuscrit original, source de ceux d'Anvers et de Vienne, est-ce bien celui qu'ont en entre les mains Cuspinien et Peiresc? Nous ne pouvons guère en douter. Le P. Boucher luimême ne l'a-t-il pas eu à sa disposition, plutôt que la copie de la bibliothèque de Vienne? Nous ne savons trop que répondre à cette question. Tout ce qu'il y a de certain, c'est que ces diverses copies, divergentes, il est vrai, en quelques détails non essentiels, et d'accord sur la presque totalité de l'ensemble, en même temps qu'elles démontrent l'existence 0446C d'un original commun, font voir clairement qu'on ne les doit point croire l'oeuvre d'un faussaire. Aussi n'est-il jamais venu dans l'esprit de personne de croire qu'on eût fabriqué à plaisir la Chronique de Libère.

Outre Schelstrate, qui a reproduit le texte de cet opuscule, suivant le manuscrit de Vienne, en son premier tome de l' Antiquitas illustrata, et Henschenius en tête du premier tome d'Avril des Acta Sanctorum, nous ne connaissons plus que du Cange, dans les pièces justificatives, du Chronicon paschale, et Bianchini, à la tête du deuxième volume de l'édition d'Anastase, qui se soient faits éditeurs du catalogue de Libère; encore ces deux derniers se sont-ils contentés de reproduire simplement le texte, tel qu'il 0446D est donné par le P. Boucher.

Nous réduisons donc à trois les éditions proprement dites, savoir: celle du P. Boucher, celle du P. Henschenius et celle de Schelstrate, et pour que le lecteur soit à même d'en balancer l'autorité, nous les établissons ci-après toutes les trois sous un même coup d'oeil avec les notes dont les ont enrichies les trois savants éditeurs auxquels nous les devons.