Mense Decembre.

Idus Decemb. Ariston, in Pontum.

Dom Mabillon a publié au troisième volume de ses Analecta un calendrier du même genre et presque du même âge, à l'usage de l'Église de Carthage. Nous le reproduisons ci-dessous dans une note comme complément de celui de Rome . Le lecteur sera 0467A par là à mème de juger comment, au moyen de la confrontation des calendriers des diverses églises, il devint aisé de rédiger ce fameux martyrologe de l'Église Romaine dont parle saint Grégoire le Grand à Eulogius, et dans lequel il dit expressément qu'on trouvait le jour précis auquel chaque martyr avait souffert . Enfin tous ces détails que nous nous plaisons à accumuler auront abondamment servi à prouver que l'on ne saurait sans témérité prétendre qu'il était impossible au quatrième siècle de déterminer dans le détail les menues circonstances du temps de chaque pontificat: nous allons maintenant répondre à nos adversaires protestants.

La première objection, qui est commune à Dodwel et à Pearson , est que saint Irenée et saint 0467B Epiphane qui ont cité la succession des Pontifes Romains dans leurs traités contre les hérétiques, Eusèbe, Rufin, saint Prosper et les autres historiens et chroniqueurs qui l'ont insérée dans leurs récits, n'ont point, ni les uns ni les autres, déterminé dans le même détail que le Catalogue de Libère les années, les mois et les jours du siége de ces évêques de Rome. Rien n'est plus aisé à résoudre que cette difficulté. Pourquoi les saints docteurs Irénée et Epiphane, auxquels on eût pu joindre encore saint Optat et saint Augustin, eussent-ils cité si minutieusement aux hérétiques les mois et les jours des Pontifes Romains, tandis qu'ils n'avaient besoin que d'en montrer simplement la succession pour fermer la bouche à tous les novateurs? Quant aux chroniqueurs, 0467C qui ne voit que ce détail si multiplié de mois et de jours les eût fait sortir du genre de leur travail, qui consiste uniquement à tracer les principales lignes chronologiques et non point à sonder ces particularités indifférentes? Enfin, quand bien même la nature du travail historique que s'étaient imposé Socrate, Sozomène, Théodoret, eût exigé qu'ils entrassent dans ces minuties que doit négliger la chronique, quoì d'étonnant que ces auteurs les eussent ignorées dans l'Orient où ils écrivaient, tandis que Rome gardait en toute certitude ces traditions domestiques?

Pearson, qui a été frappé comme nous de l'argument qu'on peut former en faveur des supputations de mois et de jours dans le Catalogue de Libère, par 0467D la considération des usages de l'ancienne Eglise qui conservait soigneusement les mémoires anniversaires 0468A des martyrs, fait tous ses efforts pour échapper aux conséquences que nous en tirons . Il regarde comme nous de calendrier romain que nous venons de citer comme un monument fort respectable et très-important pour la chronologie des Papes dont il renferme les jours de Déposition; mais il se jette dans une assertion toute gratuite, lorsqu'il prétend que l'auteur du Catalogue de Libère n'a pas eu d'autres mémoires pour dresser le compte des mois et des jours qu'il a assignés aux différents Papes, et que, comme ce calendrier, suivant Pearson, ne renferme la Déposition que de donze Papes, de saint Lucius à saint Jules, le rédacteur du Catalogue a dû prendre nécessairement dans son imagination les circonstances de temps qu'il a attribuées aux pontificats 0468B précédents.

Nous répondons d'abord qu'il n'est pas exact de ne compter que donze Dépositions d'Évêques dans le calendrier, lorsqu'en examinant de plus près il est facile d'en trouver encore quatre autres sous le titre de Dépositions des martyrs, savoir de saint Fabien, XIII Kal. Feb.; de saint Sixte, VIII Id. Aug.; de saint Calixte, Pridie Id. Nov. et de saint Clément, V Id Nov. Donc, seize en tout auxquelles nous serions en droit d'ajouter encore saint Pierre, dont le jour du martyre est marqué III Kal. Jul. Maintenant, parce que ce précieux calendrier est arrivé jusqu'à nous, est-il sensé de conclure qu'il était la seule indication qu'on pût trouver au troisième siècle sur les jours de décès de trente Papes qui avaient siégé 0468C jusqu'alors, et cette conjecture négative toute gratuite peut-elle prévaloir sur les graves motifs à l'aide desquels nous avons cherché à démontrer au bon sens du lecteur qu'une institution religieuse aussi forte et aussi puissante que l'Église Romaine devait avoir, après trois siècles de durée, des titres un peu plus étendus et circonstanciés que ceux que nous pouvons aujourd'hui enregistrer en deux pages?

L'auteur du Catalogue de Libère aura eu entre les mains le calendrier et s'en sera servi pour composer sa chronique, nous dit Pearson. Pour nous, nous aimerions tout autant dire que ces deux opuscules ont été simultanément composés sur des mémoires antérieurs; car l'auteur du Catalogue de Libère ne saurait avoir pris sur le calendrier les fastes consulaires 0468D dont il se sert, puisqu'ils n'y étaient pas, mais en revanche l'auteur du calendrier pourrait bien 0469A avoir rédigé d'après le catalogue les dates de décès des souverains Pontifes; quoique cependant nous ne prétendions pas l'affirmer, mais simplement opposer une probabilité à une assertion dépourvue de toute ombre de vraisemblance.

Mais, dit encore Pearson, on peut tirer des annales même du siége de Rome la preuve certaine que tout ce qu'il y a d'authentique dans les fastes de la Papauté des trois premiers siècles se trouve sur le Calendarium du P. Boucher; car les donze Evêques dont on donne la date certaine de Déposition sont postérieurs à Fabien qui établit les notaires et fonda, au milieu du troisième siècle, les archives de l'Eglise Romaine, qui n'en avait pas jusqu'alors. Comme nous établirons dans le volume suivant que l'institution 0469B des notaires du siége apostolique date du premier siëcle, et non du troisième, et que nous ne pouvons entamer ici cette intéressante discussion, nous nous bornerons à répéter ce que déjà nous avons eu occasion de remarquer plusieurs fois, c'est-à-dire que des notes sur les noms, les années, les mois et les jours des évêques de Rome, ne formaient point une oeuvre si considérable, qu'on soit obligé de se figurer un corps de notaires officiellement occupé à l'accomplir.; que l'on ne peut supposer sans absurdité que l'Eglise Romaine, qui jouait dès lors un sigrand rôle, comme on le voit par l'affaire de la Pâque, et qui adressait aux autres Eglises des épîtres si puissantes, dès le temps de saint Clément, aurait traversé plus de deux siècles sans avoir même songé à créer pour 0469C ses propres besoins aucune espèce d'archives; en sorte que saint Fabien, appelé à la gouverner, l'eût trouvée muette sur tout son passé si fécond, si glorieux pourtant, sans souvenirs ni écrits, ni monumentaux, en un mot connue de toutes les églises, suivant saint Irenée, et ne se connaissant pas ellemême. En vérité, le docte Anglican compte par trop sur la simplicité de ses lecteurs, et nous ne saurions assez nous étonner que les paradoxes de son ouvrage n'aient pas plus tôt été réfutés par les auteurs catholiques.

Toutefois, comme il n'est jamais d'erreur qui n'ait eu son prétexte plus ou moins fonde, nous reconnaîtrons volontiers que depuis environ l'époque de saint Fabien, c'est-à dire à partir de la moitié du 0469D troisième siècle, on trouve dans le Catalogue de Libère plus de positif dans les détails, des dates moins flottantes, mais plus précises et plus circonstanciées. On voit que depuis cette époque il a été mis plus de soin dans la rédaction des mémoires, et que les améliorations du saint Pape ont produit leur fruit dans les archives du Siége Apostolique. De sou côté, l'auteur du catalogue a enregistré les monuments tels qu'il les a trouvés, sous leur forme plus ou moins disparate, sans essayer de donner à son oeuvre une unité de couleur qu'un faussaire n'eût pas manqué de rechercher; et ceci nous ramène encore à notre conclusion, 0470A que dans l'assignation qu'il a faite des années, des mois et des jours de chaque Pape, en même temps que son autorité ne peut manquer d'ètre très-grande, sa bonne foi reste pleinement à couvert.

Nous n'avons que quelques mots à dire sur l'authenticité des faits insérés, outre les notions chronologiques, dans le Catalogue de Libère. D'abord, ils sont très-peu nombreux. C'est, au Pontificat de saint Pie, une note sur Hermas, l'auteur du livre du Pasteur, que l'on dit avoir été frère de ce Pape. Ce livre est certainement d'Hermas et existe encore. La parenté de son auteur avec saint Pie est une question débattue entre les savants. A l'article de saint Pontien, il y a quelques lignes dans lesquelles on dit qu'il fut relégué en Sardaigne et qu'il y fut martyrisé. 0470B Rien de moins suspect que cette tradition si simple et si peu ambitieusement racontée. Sur saint Fabien, il est dit qu'il divisa les régions aux diacres et fit faire des constructions dans les cimetières. Nous prouverons plus tard la certitude de ces renseignements. Ce qui est dit de Moïse, Maxime et Nicostrate, ainsi que de Novat et de Novatien, est appuyé abondamment sur les lettres de saint Cyprien. On peut vérifier à la même source les faits allégués au Pontificat de saint Corneille. La note sur l'exil et le retour de saint Lucius ne présente pas non plus de matière à contestation. Personne ne doute de la persécution de Dioclétien et de Maximien, de laquelle il est parlé à l'article de saint Marcellin. Enfin, rien n'est plus aisé à justifier que les détails insérés au 0470C Pontificat de saint Jules sur la construction des basiliques qui le reconnaissent pour leur fondateur.

Nous terminons ici ce que nous avions à dire sur le Catalogue de Libère; et nous éprouvons en même temps le besoin de répéter que si nous donnons ce monument comme antique et vénérable, nous sommes loin de dissimuler les imperfections qu'il présente. Il en est qu'il faut mettre sur le compte des copistes, d'autres qu'on doit attribuer à l'injure des temps; plusieurs peut-être qui seront venues de l'insuffisance des mémoires, auxquels, dans telle ou telle circonstance, le compilateur aura cherché à suppléer par des conjectures plus ou moins heureuses. L'assignation des consuls à certains Pontificats est évidemment fautive et jette plusieurs fois une certaine confusion 0470D dans les années. Outre les explications générales que nous venons de donner, nous aimons assez le système du Père Henschenius, qui conjecture que plusieurs fois des personnages élevés à la Papauté ayant été quelques années vicaires de leur prédécesseur, comme saint Clément le fut de saint Lin et de saint Clet, on aura confondu l'année de leur ordination épiscopale avec celle de leur avénement au Saint Siége, et il n'en aura pas fallu davantage pour engendrer une confusion devenue presque irrémédiable par le laps de temps . De même pourrions-nous, en adoptant avec modération une autre idée du savant 0471A jésuite, fortement combattue par le Père Pagi en ce qu'elle est fausse dans sa généralité, expliquer quelques erreurs commises sur les jours et les mois, au moyen d'une méprise commune qui eût fait prendre pour le jour de la mort de tel ou tel Pape celui de sa sépulture, inscrit par un motif ou par un autre au calendrier. Nous laissons d'ailleurs ces hypothèses 0472A pour ce qu'elles sont; mais devant quelquefois combattre et réformer le Catalogue de Libère dans certains détails, nous devions au public cette explication franche, qui n'affaiblit en rien à nos yeux l'importance de ce monument, l'un des plus authentiques de toute l'antiquité chrétienne.