Disquisitio Gallice Adornata. De Praecedentis Catalogi Epocha, Auctore Et Auctoritate.

0453 Postquam hunc catalogum sub oculos lectoris posuere, sequentia subjungunt eruditi Benedictini:

0454D Telle est la Chronique des Pontifes Romains connue sous le nom de catalogue de Libère. Avant d'en 0455A établir l'autorite, nous avons d'abord à examiner l'époque à laquelle elle aura été rédigée, et l'auteur à qui il serait possible de l'attribuer.

De tous les savants qui se sont occupés de ce monument, nous ne connaissons que Dodwel qui l'ait voulu faire plus récent que l'époque de Libère, et il a été refuté par Tillemont lui-même. Sans parler de l'argument qu'on doit naturellement tirer de la coincidence de date de ce monument avec les quatre autres opuscules qui l'accompagnent sur les divers manuscrits, circonstance qui suffit à elle seule pour en préciser l'époque, n'y ayant dans le texte du catalogue rien qui contredise cette antiquité, cette chronique ne porte-t-elle pas irrécusablement la date de sa rédaction dans ces dernières lignes: Liberius 0455B fuit temporibus Constantii, ex die XI Kalend. Junias, in diem . . . a consulibus Constantio V. et Caesare.

«Cette fin, comme le dit Tillemont, convient bien moins à un copiste arrêté par quelque accident, qu'à un auteur qui savait le commencement de Libère, mais qui n'en savait pas la fin parce qu'elle n'était pas encore arrivée» .

Mais il est un autre argument plus invincible encore. Outre le catalogue des Papes dit de Libeère, il en existe un autre composé au sixième siècle et s'arrêtant à Félix IV. Or, ce second catalogue, que Dodwel voudrait faire passer pour le plus ancien, tandis que celui de Libère n'en serait que l'abrégé , le second, disons-nous, insère textuellement les fastes consulaires établis dans le premier pour les années 0455C de chaque Pape, et, arrivé à l'époque de Libè, il cesse de les donner, il n'y supplée en aucune facon et ne les reprend que plus d'un siècle après L'époque où s'arrête la Chronique Libérienne. Pourquoi, sinon parce que le monument qu'il transcrivait n'allait pas au delà du consulat de Constance quinto et Constance César? Or, quel peut être ce monument, si ce n'est celui qui fait l'objet de la présente discussion? Il est donc antérieur à la Chronique de Félix IV, dont lui seul peut même expliquer l'étrange lacune. Pearson n'a pas craint d'en faire la remarque , et Tillemont, presque aussi sévère dans l'examen des traditions catholiques, observe judicieusement que les conjectures de Dodwel pour faire 0455D du catalogue de Libère un simple abrégé de monuments du sixième siècle, sont renversées par l'expérience des critiques, qui, dit-il, ont toujours observé que ces sortes d'ouvrages vont plutôt en augmentant 0456A qu'en diminuant, comme on le voit par expérience .

La question de savoir quel est l'auteur du catalogue de Libère est loin d'être aussi facile à éclaircir. Henschenius a prétendu que la première partie de la Chronique qui va de saint Pierre à saint Urbain aurait été rédigée par saint Anteros et le reste jusqu'à Libère par saint Damase. Papebrock, dans son Conatus Chronico-historicus ad Catalogos Romanorum Pontificum, a même été plus loin, cherchant à prouver que la seconde partie de ce Catalogue offre des traces de quatre mains différentes. Schelstrate combat vigoureusement ce système , qui nous semble, à nous aussi, donner beaucoup trop à la conjecture; mais si nous sommes portés à suivre cet auteur lorsqu'il fait voir qu'on ne saurait nommer avec précision 0456B les rédacteurs de ce Catalogue, ni les multiplier ainsi à fantaisie, sans courir le risque de procéder un peu au hasard, il nous paraît que ses arguments, pour prouver l'identité de style dans toutes les parties de cette Chronique, sont loin d'être concluants. Quand on y regarde de près, il est difficile de ne pas apercevoir dans les différentes parties une grande diversité de forme; mais ne serait-il pas possible de l'expliquer en considérant ce monument comme l'assemblage, la compilation de notes ou mémoires rédigés à plusieurs époques? Rien ne ressemble mieux à une serie d'inscriptions enregistrées à la suite les unes des autres, que ce Catalogue qui ne présente d'unité que dans la pensée qui a présidé à son arrangement en manière de Chronique.

0456C Maintenant quel aurait été le rédacteur, le compilateur de cet ensemble? Tillemont et Pagi en attribueraient volontiers l'honneur à saint Damase, et nous sommes très-portés à nous ranger nous-mêmes de ce parti. Toutefois nous n'appuyons pas notre sentiment sur les deux fameuses lettres, dont l'une est attribuée à ce saint Pape et l'autre à saint Jérôme, et qui ont agité en sens divers les savants qui les ont jugées. Elles paraissent abandonnées aujourd'hui de tout le monde, et cependant, suivant nous, les arguments que produit en leur faveur Ciampini dans son Examen Libri Pontificalis, sont loin d'être méprisables. Quoi qu'il en soit, nous nous abstenons de les citer dans cette discussion, nous contentant 0456D de les placer en note sous les yeux du lecteur, afin de ne rien omettre de tout ce qui peut rendre plus complet notre travail sur les origines de la Papauté .

0457A Si donc nous attribuons a saint Damase la rédaction du catalogue de Libère, ce n'est point sur la foi de ces deux lettres, mais sur le témognage de nombre d'auteurs qui, depuis le septième ou huitième siècle environ, n'ont cessé de considérer ce Pape comme auteur d'une Chronique des Pontifes Romains. Comme nous ne pouvons faire saint Damase auteur du Liber Pontificalis, ni même du Catalogue de Félix IV, monuments d'un style trop différent du sien, on est essentiellement conduit à lui laisser la Chronique de Libêre. Ici encore, quoique par une route totalement différente, nous nous rencontrerons avec Tillemont, qui s'exprime ainsi, dans le passage que nous avons cité plus haut: «Je ne vois pas pourquoi on dit que c'est faussement qu'on attribue à saint Damase ce catalogue, et pourquoi il ne l'aura pas pu dresser, étant diacre en 353, lorsque 0457B le pape Libère fut banni, et le catalogue paraît fait l'an 354, sous le pape Libère» .

C'est en vain que dom Ceilier objecte que, dans la notice des écrits de saint Damase, saint Jérôme ne nomme point ce Catalogue ; car ce Catalogue, qui ne semble d'ailleurs rédigé que dans un intérêt de localité, n'est pas véritablement un livre, et il est naturel de supposer qu'il n'a pas pénétré jusqu'en Orient, où écrivait saint Jérôme, quand on voit qu'en Occident même on n'a commencé à s'en occuper qu'au seizième siècle. L'autre difficulté de dom Ceilier, que saint Damase n'a pas mis son nom à cet opuscule, ainsi qu'il l'a mis à presque toutes ses épigrammes et ses inscriptions, n'est pas plus sérieuse. D'abord, c'est déjà convenir qu'il ne l'a pas mis 0457C à tout ce qui est sorti de sa plume; ensuite, comment saint Damase aurait-il songé à mettre son nom en tête d'une Chronique qui n'est autre chose que la compilation en deux pages d'une suite de notes et d'inscriptions? Concluons donc que le sentiment qui fait ce saint Pape auteur de la Chronique de Libère est appuyé sur de solides fondements. Une autre question bien autrement grave, celle de la vérité des faits contenus dans ce catalogue, réclame maintenant toute notre attention.

Les faits contenus dans le Catalogue de Libère sont simplement les fastes consulaires correspondants à l'avénement et à la mort de chaque Pape, le compte des années, des mois et des jours de son 0457D pontificat, enfin quelques détails historiques, en petit nombre et fort succincts, ainsi qu'on a pu le remarquer ci-dessus. Nous allons examiner successivement quel degré d'autorité nous devons donner à ces différents détails. Commençons par les fastes consulaires.

L'antiquité du Catalogue de Libère une fois établie, il nous semble évident que l'on doit reconnaître une véritable autorité aux indications de consuls qu'il renferme, à moins que l'on ne puisse démontrer deux choses, savoir: que les Chrétiens de Rome, qui comme on ne peut en douter d'après 0458A tout ce que nous avons prouvé dans les précédents chapitres, avaient conservé les noms de leurs évêques, ne se servaient point des fastes consulaires pour marquer les années de leur siége; et, en second lieu, que, s'ils en usaient ainsi, il eût été impossible en 354 de recueillir les monuments de ce genre dressés par eux durant les trois premiers siècles. Or nous défions qui que, ce soit d'administrer la plus légère preuve à l'appui de ces deux assertions, et il faudrait pourtant commencer par les démontrer, avant d'attaquer l'autorité du Catalogue de Libère sur la vérité des supputations consulaires qu'il contient. En attendant, nous espérons prouver que les deux thèses opposées sont certaines.

Premièrement, les chrétiens de Rome se servaient des fastes consulaires pour compter les années des Papes. Nos lecteurs ne peuvent ignorer que pendant 0458B toute la durée de l'empire romain, la manière la plus usitée et la plus nationale de mesurer le temps et de classer les événements historiques était de le faire par les consuls. Non-sculement cet usage était reçu pour les faits intéressant l'ordre public, mais les circonstances de la vie privée y étaient soumises; les contrats entre particuliers, tout, jusqu'aux détails du ménage les plus familiers, recevaient cette sanction aussi bien que les actes mêmes du pouvoir gouvernant. Ainsi l'avaient établi de concert les lois et la coutume; et peut-être cet usage était-il d'autant plus volontiers observé, qu'en même temps qu'il offrait un moyen de se rappeler les faits, moins abstrait que la supputation 0458C par les chiffres, il flattait l'orgueil des particuliers, en associant en quelque sorte les faits de leur existence avec les destinées de l'empire.

Le christianisme trouva cette pratique établie lorsqu'il parut en ce monde; et comme elle ne présentait rien de contraire à ses dogmes ni à sa morale, les premiers fidèles, qui étaient dans l'usage de l'employer dans la vie civile pour donner autorité à leurs actes, durent naturellement la transporter avec tous ses avantages dans les supputations de la religion. Que pouvait-il en effet y avoir pour eux de plus important, de plus digne de mémoire, que lasuite et les années des successeurs de saint Pierre, dans lesquels cet apôtre continuait toujours d'enseigner et de régir l'Église? Y avait-il un sujet 0458D plus digne d'émouvoir ce sentiment de nationalité qu'éprouve toujours davantage une société, en proportion du degré de spiritualisme dont elle fait profession, que le désir de conserver pures et certaines les annales de ces Pontifes si humbles, si obscurs, et pourtant dépositaires d'une autorité dont les effets, comme on peut en voir plusieurs exemples dans Eusèbe, retentissaient jusqu'aux extrémités de l'Orient, et dont la puissance, tout enfouie qu'elle était sous les arceaux de Rome souterraine, s'élevait, dès le troisième siècle, assez rivale des Césars pour qu'un Décius la redoutât à l'égal 0459A d'un compétiteur à l'empire ? N'en doutons pas, les chrétiens firent bien pour conserver la mémoire des chefs de l'Eglise ce qu'ils faisaient chaque jour dans l'intérêt de leurs affaires domestiques; et quand bien même les dernières traces en seraient aujourd'hui effacées, ne soyons point si ignorants de la nature humaine pour croire que les premiers chrétiens auront laissé passer tant de gloire, et d'une gloire si pure, sans rien faire pour en conserver le souvenir.

Dira-t-on que cette manière de compter par les consuls leur aura semblé trop profane, trop séculière, contraire même à l'austère dignité d'une religion qui ne prenait acte des particularités de la vie présente que pour les mépriser? A cela nous répondrons 0459B que bien loin de là, le Christianisme leur faisait une sorte de devoir d'employer ce mode de supputation. Personne saus doute n'ignore le respect souverain qu'avaient les premiers fidèles pour les Ecritures saintes, le zèle qu'ils mettaient à en reproduire le génie et les circonstances dans leurs habitudes, dans leur langage. Non-seulement les cérémonies du culte y prenaient leur origine, mais les usages de la vie privée en étaient comme imprégnés: ils ne pensaient, ils ne s'exprimaient que par ces livres divins. Leur style, leurs images embellissaient les écrits des Tertullien et des Origène, en même temps que leurs sentences renforcaient les réponses déjà si sublimes des martyrs. Or, ces livres eux-mêmes, tout célestes, tout surnaturels, 0459C ne dédaignaient point de se servir, dans la supputation des événements divins, du mode en usage pour les calculs terrestres. Ils procédaient à l'aide des fastes de l'humanité comme à la lueur d'un flambeau, et la parole de Dieu empruntait en quelque sorte sa certitude de fait aux événements de cette demeure mortelle.

Pour n'en rappeler ici que quelques exemples, ouvrez d'abord l'Ancien Testament, à l'article des prophéties, ces phénomènes tout spirituels de l'infusion première du Verbe divin par l'Esprit-Saint dans l'humanité, vous y trouverez les années passagères des rois de la terre accolées comme un sceau nécessaire aux oracles de la Sagesse éternelle. Choisissons entre mille exemples: « La vision d'Isaïe fils d'Amos 0459D sur Juda et Jérusalem, en les jours d'Ozias, Joathan, Achaz et Ezéchias, rois de Juda . Plus loin: En l'année que mourut le roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône, etc. . Paroles de Jérémie fils d'Helcias, l'un des prêtres qui furent en Anathoth, en la 0460A terre de Benjamin. La parole du Seigneur fut sur lui en les jours de Josias fils d'Amon roi de Juda, en la treizième année de son règne . Parole qui fut donnée à Jérémie, touchant le peuple de Juda, en la quatrième année de Joakim fils de Josias roi de Juda, laquelle est la première année de Nabuchodonosor roi de Babylone . En la première année de Baltazar roi de Babylone, Daniel vit un songe, etc. . En la troisième année du règne de Baltasar . En la première année de Darius fils d'Assuérus, de la race des Mèdes, qui régna sur l'empire des Chaldéens, etc. . En l'année troisième de Cyrus roi des Perses, la parole fut révélée à Daniel, etc. . C'est assez sans doute et nous pouvons nous dispenser de citer les petits Prophètes, qui fournissent un bien plus grand nombre d'exemples 0460B de cette particularité. Passons au Nouveau Testament.

Aux jours d'Hérode, roi de Juda, il y eut un prétre nommé Zacharie, etc. . Ainsi commence le récit de l'histoire évangélique dans saint Luc. Au chapitre suivant: En ces jours-là il sortit un édit de César Auguste pour le dénombrement de tout l'univers. Ce dénombrement fut fait, Cyrinus étant gouverneur de Syrie . Saint Matthieu parlant de la venue des mages: Jésus étant né en Bethléem de Juda, en les jours du roi Hérode, voici que des Mages vinrent d'Orient à Jérusalem . Saint Luc voulant annoncer la prédication de saint Jean, solennel prélude de celle du Christ, en détermine aussi l'époque par celle des princes du temps: En l'année quinzième de l'empire 0460C de Tibère César, Ponce Pilate é tant gouverneur de Judée, Philippe son frère tétrarque de l'Iturée et de la région de Thrachonite, et Lysanias d'Abilène, sous les princes des prêtres Anne et Caïphe, la parole du Seigneur fut sur Jean fils de Zacharie, dans le désert, etc. .

Voilà certes plus qu'il ne fallait pour excuser les premiers chrétiens à leurs propres yeux, lorsqu'ils se servaient des fastes consulaires pour fixer les années des Pontifes Romains; et afin que l'on ne pense pas que ces observations soient le fruit d'une recherche systématique plus ingénieuse que concluante, nous ne résistons pas au désir de citer ici le passage suivant de saint Ambroise, qui a vu la 0460D chose du même point de vue, et qui commente de la manière suivante l'un des textes que nous venons de citer: «Le dénombrement dont parle saint Luc eut lieu Cyrinus étant gouverneur de Syrie, comme si l'Evangéliste eût voulu mettre à son livre, 0461A comme un sceau, une sorte d'indication consulaire. Et effet, si l'on marque les consuls sur les contrats d'achat, quoi de plus juste que d'employer cette supputation de temps pour fixer l'époque du rachat universel? Vous avez ici tout ce que l'on a coutume de placer sur les contrats: d'ordinaire, on y met le nom du dépositaire de l'autorité souveraine, le jour, le lieu, la cause, les témoins. Le Christ a voulu aussi faire servir ces différentes marques à certifier sa nativité et sa génération suivant la chair, lui qui a dit à ses apôtres: Soyez-moi témoins en présence de Jérusalem» .

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que les premiers fidèles transportassent dans les faits de la religion une manière de compter que le génie des livres 0461B saints leur rendait sacrée, en mème temps que les usages du temps n'en laissaient pas même une autre à leur disposition. Ainsi s'explique ce passage de Tertullien, dans le livre de la Couronne du Soldat: «Le vulgaire a ses fêtes et ses couronnes, tantôt en l'honneur de la fortune des princes, tantôt pour les solennités particulières de la cité, et la luxure fait le fond de toutes ces joies publiques. Toi, chrétien, tu es étranger à ce monde, citoyen de la céleste Jérusalem, comme dit l'Apôtre: Notre cité est le ciel. Mais n'as-tu pas aussi tes listes? N'as-tu pas aussi tes fastes ?»

Après avoir montré que l'existence de fastes chrétiens, durant les trois premiers siècles, ne présente rien que de très-naturel, nous n'aurons pas de peine 0461C à faire voir qu'on pouvait lire encore en 354 ceux que les chrétiens de Rome eussent rédigés sur les années des papes. Une seule raison eût rendu cette lecture impossible: ce serait le cas où ils eussent tous péri avant cette époque, mais cette supposition est inadmissible. Sans doute les persécutionis, la dernière surtout, détruisirent une grande quantité de monuments; mais le petit nombre qui nous en est resté, et qui devait être nécessairement plus considérable encore au quatrième siècle, suffit pour prouver que tout n'avait pas péri: nous allons fortifier par des faits ces conjectures inattaquables d'ailleurs.

Prenons pour exemple les Actes des Martyrs, monuments si importants dans les moeurs de l'Eglise 0461D primitive, et sur lesquels naturellement les chrétiens devaient inscrire les consuls pour fixer l'époque de la glorieuse confession. Tout le monde sait que la plus grande partie de ces actes précieux s'est perdue; mais telle est la certitude de notre assertion, qu'un 0462A seul coup d'oeil sur les débris qui nous sont restés suffira pour montrer aux moins clairvoyants, qu'à l'époque de Libère, on pouvait bien mieux encore constater, à l'aide du flambeau consulaire, les actes ecclésiastiques des trois siècles précédents. Nous ne citerons point ici les actes des martyrs, jugés authentiques par les Bollandistes dans leur immense compilation, ni dans plusieurs autres recueils postérieurs à celui de dom Ruinart: arrêtons-nous simplement à la collection de celui-ci comme la plus répandue, et lisons-y tout aussitôt ce qu'on pouvait bien mieux encore lire au quatrième siècle sur tant de monuments que le temps et l'incurie de ceux qui les devaient mieux conserver, joints aux ravages des barbares, ont fait disparaître de la terre. Prenons à 0462B livre ouvert dans les Acta sincera du savant et trèsimpartial bénédictin.

En l'an de Jésus-Christ CVII, les actes de saint Ignace d'Antioche: Facta autem sunt haec die ante XIII Kalendas Januarias, praesidentibus apud Romanos Syrio et Senecio secundo. En l'an CC, les actes proconsulaires des martyrs Scillitains: In diebus illis praesidente bis Claudiano consule XVI Kal. August. En l'an CCL, le martyre de S. Pionius: Acta sunt haec sub Proconsule Julio Proclo et Quintiliano consule, Imperatore Gaio, mense quinto, Traiano Decio et Vizeto Grato, et, ut Romani dicunt, Iiii Idus Martii, et, ut Asiani dicunt, mense sexto, die sabbati, hora decima. En l'an CCLVIII, les actes proconsulaires de saint Cyprien: Imperatore Valeriano quartum et Gallieno 0462C tertium Consulibus, tertio Kalendarum Septembrium, etc. En l'an CCLIX, les actes des saints martyrs Fructuosus, Augurius et Eulogius: Valeriano et Gallieno imperatoribus, Aemiliano et Basso coss. XVII Kal. Februarii, die Dominico, etc. En l'an CCLXXXV, les actes des saints martyrs Claude et Asterius: Habita est passio haec in civitate Aegea, sub Lysia praeside. X Kalendas Septembris, Augusto et Aristobolo consulibus, etc. En l'an CCXCV, les actes de S. Maximilien: Tusco et Anulino consulibus, IV Id. Martii, Teveste, etc. En l'an CCCIII, les actes de S. Félix évèque: Diocletiano octies et Maximiano septies consulibus, Augustis, etc. En l'an CCCIV, les actes des saintes Agape, Chionie, Irène, etc., in consulatu Diocletiani Augusti nono, Maximiani autem August. 0462D octavo, Kalendis Aprilis, etc. Même année, les actes de S. Euplus, diacre: Diocletiano novies, et Maximiano octies consulibus, pridie Idus Augusti, in Catanensium civitate, etc.

Nous nous arrêtons enfin; mais nous voulions 0463A mettre le lecteur à portée de juger par lui-même que la critique la plus exigeante ne saurait rejeter la chronologie consulaire du Catalogue de Libère, pour cette raison seule que cet opuscule n'a été rédigé qu'au quatrième siècle. Or, le Catalogue de Libère ne se borne pas à indiquer les consuls correspondants à l'avénement et à la mort des Pontifes Romains, il donne aussi les années, les mois et les jours de leur siége. Examinons maintenant la certitude de ces détails.

Après avoir fait observer au lecteur que ces assignations d'années, de mois et de jours, ont dû prêter aux erreurs des copistes, à travers les siècles, plus encore que les fastes consulaires eux-mêmes, et que par conséquent nous n'entendons point répondre de 0463B tous les chiffres dont est rempli le Catalogue de Libère, nous disons que rien n'est moins étonnant en soi que la conservation de ces détails chronologiques à Rome, au quatrième siècle. Les monuments de l'histoire, et Dodwel en est lui-mème convenu , n'ontils pas conservé, malgré la distance des temps, les années, les mois et les jours des empereurs? Pour faire la même chose dans la chronique des Papes, dont les années étaient déjà déterminées par les consuls, fallait-il donc de si grands efforts? et lorsque les volumineux écrits des Clément d'Alexandrie et des Origène traversaient sains et saufs de si désastreuses tempêtes, avait-il été si impracticable de sauver la page sur laquelle on avait écrit les années, les jours et les mois qu'avaient siégé environ trente 0463C évêques, surtout quand le contenu de cette page était si populaire, qu'il était, parlà même, impossible qu'il se perdît?

Car les faits viennent encore ici à l'appui de ce qu'on pourrait appeler nos conjectures, et voici de quelle manière. N'est-il pas vrai que si nous pouvons prouver que les chrétiens connaissaient naturellement le jour du décès de la plupart des anciens Papes, il leur était, par là même, facile de supputer non-seulement les années de leur Pontificat déjà désignées par les consuls, mais même d'une certaine manière les mois et les jours, indépendamment des mémoires que l'Eglise devait conserver sur toutes ces choses? Or c'est ce que personne ne peut révoquer en doute, avec la plus légère teinture de l'antiquité ecclésiastique. 0463D Dès l'origine du christianisme, le jour de la mort des saints fut consacré par une fête en leur honneur sous le beau nom de naissance, Natalis, conservé dans la liturgie romaine. Ainsi, dès l'an 107, dans la circulaire partie de Rome pour annoncer la confession de saint Ignace d'Antioche, on disait aux Églises: «Nous vous indiquons le jour et le temps, afin qu'à l'anniversaire de son martyre, nous 0464A nous réunissions tous en l'bonneur d'un si généreux athlète et témoin du Christ .» Telle était la tradition apostolique. Lorsque l'Église Romaine adressait un message aux autres Églises pour leur notifier le trépas sublime de son Pontife , elle n'oubliait jamais de transmettre en même temps, pour qu'on l'enregistrât, le jour où le sacrifice avait été offert. «Vous saurez, écrit saint Cyprien à Successus, un des évêques de sa province; vous saurez que Sixte a été mis à mort dans le cimetière, le huit des ides d'août» .

On conservait donc à Rome, au moyen des mémoires et commémorations des martyrs, le jour précis où chaque Pape avait terminé sa carrière; et c'est ici le lieu de mettre sous les yeux du lecteur 0464B le fameux calendrier ecclésiastique de l'Église Romaine, qui, rédigé aussi vers l'an 354, faisait partie des quatre opuscules que Cuspinien et le P. Boucher trouvèrent sur le même manuscrit à côté du Catalogue de Libère. On y verra les anniversaires des divers martyrs dont Rome chrétienne célébrait la fête au quatrième siècle, et l'inspection de ce monument ne servira pas peu à faire toucher au doigt la vérité de nos assertions. Nous donnons ce calendrier, non d'après Dom Ruinart, qui n'a fait que reproduire la lecon du P. Boucher, mais d'après le P. Conrad Janning, quid'a publié en 1717 , sans rien changer à la leçon originale, comme l'avait fait le P. Boucher en quelques endroits.